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Actes de l'oeuvre
La Critique de L'École des femmes :

¤Acte 1
ºSCÈNE PREMIÈRE
ºSCÈNE II
ºSCÈNE III
ºSCÈNE IV
ºSCÈNE V
ºSCÈNE VI
ºSCÈNE VII
 
 

 

La Critique de L'École des femmes » Acte 1 » SCÈNE III

CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE, GALOPIN.

URANIE.- Vraiment, c'est bien tard que...

CLIMÈNE.- Eh de grâce, ma chère, faites-moi vite donner un siège.

URANIE.- Un fauteuil, promptement.

CLIMÈNE.- Ah mon Dieu!

URANIE.- Qu'est-ce donc?

CLIMÈNE.- Je n'en puis plus.

URANIE.- Qu'avez-vous?

CLIMÈNE.- Le cœur me manque.

URANIE.- Sont-ce vapeurs, qui vous ont prise?

CLIMÈNE.- Non.

URANIE.- Voulez-vous, que l'on vous délace?

CLIMÈNE.- Mon Dieu non. Ah!

URANIE.- Quel est donc votre mal? et depuis quand vous a-t-il pris?

CLIMÈNE.- Il y a plus de trois heures, et je l'ai rapporté du Palais-Royal*.

URANIE.- Comment?

CLIMÈNE.- Je viens de voir, pour mes péchés, cette méchante rapsodie de L'École des femmes. Je suis encore en défaillance du mal de cœur, que cela m'a donné, et je pense que je n'en reviendrai de plus de quinze jours.

ÉLISE.- Voyez un peu, comme les maladies arrivent sans qu'on y songe.

URANIE.- Je ne sais pas de quel tempérament nous sommes, ma cousine et moi; mais nous fûmes avant-hier à la même pièce, et nous en revînmes toutes deux saines et gaillardes.

CLIMÈNE.- Quoi, vous l'avez vue?

URANIE.- Oui; et écoutée d'un bout à l'autre.

CLIMÈNE.- Et vous n'en avez pas été jusques aux convulsions, ma chère?

URANIE.- Je ne suis pas si délicate, Dieu merci; et je trouve pour moi, que cette comédie serait plutôt capable de guérir les gens, que de les rendre malades.

CLIMÈNE.- Ah mon Dieu, que dites-vous là! Cette proposition peut-elle être avancée par une personne, qui ait du revenu en sens commun? Peut-on, impunément comme vous faites, rompre en visière* à la raison? Et dans le vrai de la chose, est-il un esprit si affamé de plaisanterie, qu'il puisse tâter des fadaises dont cette comédie est assaisonnée? Pour moi, je vous avoue, que je n'ai pas trouvé le moindre grain de sel dans tout cela. Les enfants par l'oreille m'ont paru d'un goût détestable; la tarte à la crème m'a affadi le cœur; et j'ai pensé vomir au potage*.

ÉLISE.- Mon Dieu! que tout cela est dit élégamment. J'aurais cru que cette pièce était bonne; mais Madame a une éloquence si persuasive, elle tourne les choses d'une manière si agréable, qu'il faut être de son sentiment, malgré qu'on en ait.

URANIE.- Pour moi je n'ai pas tant de complaisance, et pour dire ma pensée, je tiens cette comédie une des plus plaisantes que l'auteur ait produites.

CLIMÈNE.- Ah! vous me faites pitié, de parler ainsi; et je ne saurais vous souffrir cette obscurité de discernement. Peut-on, ayant de la vertu, trouver de l'agrément dans une pièce, qui tient sans cesse la pudeur en alarme, et salit à tous moments l'imagination?

ÉLISE.- Les jolies façons de parler, que voilà! Que vous êtes, Madame, une rude joueuse en critique; et que je plains le pauvre Molière de vous avoir pour ennemie.

CLIMÈNE.- Croyez-moi ma chère, corrigez de bonne foi votre jugement, et pour votre honneur, n'allez point dire par le monde que cette comédie vous ait plu.

URANIE.- Moi, je ne sais pas ce que vous y avez trouvé qui blesse la pudeur.

CLIMÈNE.- Hélas tout; et je mets en fait, qu'une honnête femme ne la saurait voir, sans confusion; tant j'y ai découvert d'ordures, et de saletés.

URANIE.- Il faut donc que pour les ordures, vous ayez des lumières, que les autres n'ont pas: car pour moi je n'y en ai point vu.

CLIMÈNE.- C'est que vous ne voulez pas y en avoir vu, assurément: car enfin toutes ces ordures, Dieu merci, y sont à visage découvert. Elles n'ont pas la moindre enveloppe qui les couvre; et les yeux les plus hardis sont effrayés de leur nudité.

ÉLISE.- Ah!

CLIMÈNE.- Hay, hay, hay.

URANIE.- Mais encore, s'il vous plaît, marquez-moi une de ces ordures que vous dites.

CLIMÈNE.- Hélas! est-il nécessaire de vous les marquer?

URANIE.- Oui: je vous demande seulement un endroit, qui vous ait fort choquée.

CLIMÈNE.- En faut-il d'autre que la scène de cette Agnès, lorsqu'elle dit ce que l'on lui a pris?

URANIE.- Eh bien, que trouvez-vous là de sale*?

CLIMÈNE.- Ah!

URANIE.- De grâce?

CLIMÈNE.- Fi.

URANIE.- Mais encore?

CLIMÈNE.- Je n'ai rien à vous dire.

URANIE.- Pour moi, je n'y entends point de mal.

CLIMÈNE.- Tant pis pour vous.

URANIE.- Tant mieux plutôt, ce me semble. Je regarde les choses du côté qu'on me les montre; et ne les tourne point, pour y chercher ce qu'il ne faut pas voir.

CLIMÈNE.- L'honnêteté d'une femme...

URANIE.- L'honnêteté d'une femme n'est pas dans les grimaces. Il sied mal de vouloir être plus sage, que celles qui sont sages. L'affectation en cette matière est pire qu'en toute autre; et je ne vois rien de si ridicule, que cette délicatesse d'honneur, qui prend tout en mauvaise part; donne un sens criminel aux plus innocentes paroles; et s'offense de l'ombre des choses. Croyez-moi, celles qui font tant de façons, n'en sont pas estimées plus femmes de bien. Au contraire, leur sévérité mystérieuse, et leurs grimaces affectées irritent la censure de tout le monde, contre les actions de leur vie. On est ravi de découvrir ce qu'il y peut avoir à redire; et pour tomber dans l'exemple, il y avait l'autre jour des femmes à cette comédie, vis-à-vis de la loge où nous étions, qui par les mines qu'elles affectèrent durant toute la pièce; leurs détournements de tête; et leurs cachements de visage, firent dire de tous côtés cent sottises de leur conduite, que l'on n'aurait pas dites sans cela; et quelqu'un même des laquais cria tout haut, qu'elles étaient plus chastes des oreilles que de tout le reste du corps.

CLIMÈNE.- Enfin il faut être aveugle dans cette pièce, et ne pas faire semblant d'y voir les choses.

URANIE.- Il ne faut pas y vouloir voir ce qui n'y est pas.

CLIMÈNE.- Ah! je soutiens, encore un coup, que les saletés y crèvent les yeux.

URANIE.- Et moi, je ne demeure pas d'accord de cela.

CLIMÈNE.- Quoi la pudeur n'est pas visiblement blessée par ce que dit Agnès dans l'endroit dont nous parlons?

URANIE.- Non, vraiment. Elle ne dit pas un mot, qui de soi ne soit fort honnête; et si vous voulez entendre dessous quelque autre chose, c'est vous qui faites l'ordure, et non pas elle; puisqu'elle parle seulement d'un ruban qu'on lui a pris.

CLIMÈNE.- Ah! ruban, tant qu'il vous plaira; mais ce, le, où elle s'arrête*, n'est pas mis pour des prunes. Il vient sur ce, le, d'étranges pensées. Ce, le, scandalise furieusement; et quoi que vous puissiez dire, vous ne sauriez défendre l'insolence de ce, le.

ÉLISE.- Il est vrai, ma cousine; je suis pour Madame contre ce, le. Ce, le, est insolent au dernier point. Et vous avez tort de défendre ce, le.

CLIMÈNE.- Il a une obscénité qui n'est pas supportable.

ÉLISE.- Comment dites-vous ce mot-là, Madame?

CLIMÈNE.- Obscénité, Madame.

ÉLISE.- Ah! mon Dieu! obscénité. Je ne sais ce que ce mot veut dire; mais je le trouve le plus joli du monde*.

CLIMÈNE.- Enfin vous voyez, comme votre sang prend mon parti.

URANIE.- Eh! mon Dieu; c'est une causeuse, qui ne dit pas ce qu'elle pense. Ne vous y fiez pas beaucoup, si vous m'en voulez croire.

ÉLISE.- Ah! que vous êtes méchante, de me vouloir rendre suspecte à Madame. Voyez un peu où j'en serais, si elle allait croire ce que vous dites. Serais-je si malheureuse, Madame, que vous eussiez de moi cette pensée?

CLIMÈNE.- Non, non, je ne m'arrête pas à ses paroles, et je vous crois plus sincère, qu'elle ne dit.

ÉLISE.- Ah! que vous avez bien raison, Madame; et que vous me rendrez justice, quand vous croirez que je vous trouve la plus engageante personne du monde; que j'entre dans tous vos sentiments, et suis charmée de toutes les expressions, qui sortent de votre bouche!

CLIMÈNE.- Hélas! je parle sans affectation.

ÉLISE.- On le voit bien, Madame, et que tout est naturel en vous. Vos paroles, le ton de votre voix, vos regards, vos pas, votre action et votre ajustement, ont je ne sais quel air de qualité, qui enchante les gens. Je vous étudie des yeux et des oreilles; et je suis si remplie de vous, que je tâche d'être votre singe, et de vous contrefaire en tout.

CLIMÈNE.- Vous vous moquez de moi, Madame.

ÉLISE.- Pardonnez-moi, Madame. Qui voudrait se moquer de vous?

CLIMÈNE.- Je ne suis pas un bon modèle, Madame.

ÉLISE.- Oh que si, Madame.

CLIMÈNE.- Vous me flattez, Madame.

ÉLISE.- Point du tout, Madame.

CLIMÈNE.- Épargnez-moi, s'il vous plaît, Madame.

ÉLISE.- Je vous épargne aussi, Madame; et je ne dis pas la moitié de ce que je pense, Madame.

CLIMÈNE.- Ah mon Dieu! brisons là, de grâce: vous me jetteriez dans une confusion épouvantable. (À Uranie.) Enfin nous voilà deux contre vous, et l'opiniâtreté sied si mal aux personnes spirituelles...