Amphitryon » Acte 3 » SCÈNE V
JUPITER, AMPHITRYON, NAUCRATÈS, POLIDAS, SOSIE. JUPITER Quel bruit à descendre m'oblige? 1615 Et qui frappe en maître où je suis? AMPHITRYON Que vois-je, justes Dieux! NAUCRATÈS Ciel! quel est ce prodige! Quoi! deux Amphitryons ici nous sont produits! AMPHITRYON Mon âme demeure transie, 1620 Hélas! Je n'en puis plus; l'aventure est à bout:Ma destinée est éclaircie;Et ce que je vois, me dit tout. NAUCRATÈS Plus mes regards sur eux s'attachent fortement,Plus je trouve qu'en tout, l'un à l'autre est semblable. SOSIE 1625 Messieurs, voici le véritable;L'autre est un imposteur, digne de châtiment. POLIDAS Certes, ce rapport admirableSuspend ici mon jugement. AMPHITRYON C'est trop être éludés* par un fourbe exécrable, 1630 Il faut, avec ce fer, rompre l'enchantement. NAUCRATÈS Arrêtez. AMPHITRYON Laissez-moi. NAUCRATÈS Dieux! que voulez-vous faire? AMPHITRYON Punir, d'un imposteur, les lâches trahisons. JUPITER Tout beau, l'emportement est fort peu nécessaire;Et lorsque de la sorte on se met en colère, 1635 On fait croire qu'on a de mauvaises raisons. SOSIE Oui, c'est un enchanteur, qui porte un caractère*,Pour ressembler aux maîtres des maisons. AMPHITRYON Je te ferai, pour ton partage,Sentir, par mille coups, ces propos outrageants. SOSIE 1640 Mon maître est homme de courage;Et ne souffrira point, que l'on batte ses gens. AMPHITRYON Laissez-moi m'assouvir dans mon courroux extrême,Et laver mon affront au sang d'un scélérat. NAUCRATÈS Nous ne souffrirons point cet étrange combat, 1645 D'Amphitryon, contre lui-même. AMPHITRYON Quoi! mon honneur, de vous, reçoit ce traitement?Et mes amis, d'un fourbe, embrassent la défense?Loin d'être les premiers à prendre ma vengeance*,Eux-mêmes font obstacle à mon ressentiment? NAUCRATÈS 1650 Que voulez-vous qu'à cette vueFassent nos résolutions;Lorsque par deux Amphitryons,Toute notre chaleur demeure suspendue?À vous faire éclater notre zèle aujourd'hui, 1655 Nous craignons de faillir, et de vous méconnaître.Nous voyons bien en vous Amphitryon paraître,Du salut des Thébains le glorieux appui:Mais nous le voyons tous aussi paraître en lui;Et ne saurions juger dans lequel il peut être. 1660 Notre parti n'est point douteux,Et l'imposteur, par nous, doit mordre la poussière:Mais ce parfait rapport* le cache entre vous deux;Et c'est un coup trop hasardeux,Pour l'entreprendre sans lumière. 1665 Avec douceur laissez-nous voir,De quel côté peut être l'imposture;Et dès que nous aurons démêlé l'aventure,Il ne nous faudra point dire notre devoir. JUPITER Oui, vous avez raison: et cette ressemblance, 1670 À douter de tous deux, vous peut autoriser.Je ne m'offense point de vous voir en balance:Je suis plus raisonnable, et sais vous excuser.L'œil ne peut entre nous faire de différence;Et je vois qu'aisément on s'y peut abuser. 1675 Vous ne me voyez point témoigner de colère;Point mettre l'épée à la main.C'est un mauvais moyen d'éclaircir ce mystère;Et j'en puis trouver un plus doux, et plus certain.L'un de nous est Amphitryon; 1680 Et tous deux, à vos yeux, nous le pouvons paraître.C'est à moi de finir cette confusion;Et je prétends me faire à tous si bien connaître,Qu'aux pressantes clartés de ce que je puis être,Lui-même soit d'accord du sang qui m'a fait naître, 1685 Il n'ait plus de rien dire aucune occasion.C'est aux yeux des Thébains, que je veux avec vous,De la vérité pure, ouvrir la connaissance;Et la chose sans doute est assez d'importance,Pour affecter la circonstance*, 1690 De l'éclaircir aux yeux de tous.Alcmène attend de moi ce public témoignage.Sa vertu, que l'éclat de ce désordre outrage,Veut qu'on la justifie, et j'en vais prendre soin.C'est à quoi mon amour envers elle m'engage; 1695 Et des plus nobles chefs, je fais un assemblage,Pour l'éclaircissement, dont sa gloire a besoin.Attendant avec vous ces témoins souhaités,Ayez, je vous prie, agréableDe venir honorer la table, 1700 Où vous a Sosie invités. SOSIE Je ne me trompais pas. Messieurs, ce mot termineToute l'irrésolution:Le véritable Amphitryon,Est l'Amphitryon, où l'on dîne. AMPHITRYON 1705 Ô Ciel! puis-je plus bas me voir humilié!Quoi! faut-il que j'entende ici, pour mon martyre,Tout ce que l'imposteur, à mes yeux, vient de dire;Et que dans la fureur, que ce discours m'inspire,On me tienne le bras lié! NAUCRATÈS 1710 Vous vous plaignez à tort. Permettez-nous d'attendreL'éclaircissement, qui doit rendreLes ressentiments de saison.Je ne sais pas s'il impose:Mais il parle sur la chose, 1715 Comme s'il avait raison. AMPHITRYON Allez, faibles amis, et flattez l'imposture.Thèbes en a pour moi de tout autres que vous:Et je vais en trouver, qui partageant l'injure,Sauront prêter la main à mon juste courroux. JUPITER 1720 Hé bien, je les attends; et saurai déciderLe différend en leur présence. AMPHITRYON Fourbe, tu crois par là, peut-être, t'évader:Mais rien ne te saurait sauver de ma vengeance. JUPITER À ces injurieux propos 1725 Je ne daigne à présent répondre;Et tantôt je saurai confondreCette fureur, avec deux mots. AMPHITRYON Le Ciel même, le Ciel, ne t'y saurait soustraire:Et jusques aux enfers, j'irai suivre tes pas. JUPITER 1730 Il ne sera pas nécessaire;Et l'on verra tantôt, que je ne fuirai pas. AMPHITRYON Allons, courons, avant que d'avec eux il sorte,Assembler des amis, qui suivent mon courroux:Et chez moi venons à main forte, 1735 Pour le percer de mille coups. JUPITER Point de façons, je vous conjure:Entrons vite dans la maison. NAUCRATÈS Certes, toute cette aventureConfond le sens, et la raison. SOSIE 1740 Faites trêve, Messieurs, à toutes vos surprises;Et pleins de joie, allez tabler jusqu'à demain.Que je vais m'en donner! et me mettre en beau train,De raconter nos vaillantises!Je brûle d'en venir aux prises; 1745 Et jamais je n'eus tant de faim.
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