Psyché » Acte 4 » SCÈNE V
VÉNUS, PSYCHÉ. VÉNUS Orgueilleuse Psyché, vous m'osez donc attendre,Après m'avoir sur terre enlevé mes honneurs,Après que vos traits suborneursOnt reçu les encens qu'aux miens seuls on doit rendre? 1600 J'ai vu mes temples désertés,J'ai vu tous les mortels séduits par vos beautésIdolâtrer en vous la beauté souveraine,Vous offrir des respects jusqu'alors inconnus,Et ne se mettre pas en peine 1605 S'il était une autre Vénus:Et je vous vois encor l'audaceDe n'en pas redouter les justes châtiments,Et de me regarder en face,Comme si c'était peu que mes ressentiments. PSYCHÉ 1610 Si de quelques mortels on m'a vue adorée,Est-ce un crime pour moi d'avoir eu des appas,Dont leur âme inconsidéréeLaissait charmer des yeux qui ne vous voyaient pas?Je suis ce que le Ciel m'a faite, 1615 Je n'ai que les beautés qu'il m'a voulu prêter:Si les vœux qu'on m'offrait vous ont mal satisfaite,Pour forcer tous les cœurs à vous les reporter,Vous n'aviez qu'à vous présenter,Qu'à ne leur cacher plus cette beauté parfaite, 1620 Qui pour les rendre à leur devoir,Pour se faire adorer, n'a qu'à se faire voir. VÉNUS Il fallait vous en mieux défendre,Ces respects, ces encens se doivent refuser,Et pour les mieux désabuser, 1625 Il fallait à leurs yeux vous-même me les rendre.Vous avez aimé cette erreurPour qui vous ne deviez avoir que de l'horreur;Vous avez bien fait plus, votre humeur arroganteSur le mépris de mille rois 1630 Jusques aux Cieux a porté de son choixL'ambition extravagante. PSYCHÉ J'aurais porté mon choix, Déesse, jusqu'aux Cieux? VÉNUS Votre insolence est sans seconde;Dédaigner tous les rois du monde, 1635 N'est-ce pas aspirer aux Dieux? PSYCHÉ Si l'Amour pour eux tous m'avait endurci l'âme,Et me réservait toute à lui,En puis-je être coupable, et faut-il qu'aujourd'huiPour prix d'une si belle flamme, 1640 Vous vouliez m'accabler d'un éternel ennui? VÉNUS Psyché, vous deviez mieux connaîtreQui vous étiez, et quel était ce dieu. PSYCHÉ Et m'en a-t-il donné ni le temps, ni le lieu,Lui qui de tout mon cœur d'abord s'est rendu maître? VÉNUS 1645 Tout votre cœur s'en est laissé charmer,Et vous l'avez aimé dès qu'il vous a dit: "J'aime". PSYCHÉ Pouvais-je n'aimer pas le Dieu qui fait aimer,Et qui me parlait pour lui-même?C'est votre fils, vous savez son pouvoir, 1650 Vous en connaissez le mérite. VÉNUS Oui, c'est mon fils, mais un fils qui m'irrite,Un fils qui me rend mal ce qu'il sait me devoir,Un fils qui fait qu'on m'abandonne,Et qui pour mieux flatter ses indignes amours, 1655 Depuis que vous l'aimez, ne blesse plus personneQui vienne à mes autels implorer mon secours.Vous m'en avez fait un rebelle,On m'en verra vengée, et hautement, sur vous,Et je vous apprendrai s'il faut qu'une mortelle 1660 Souffre qu'un Dieu soupire à ses genoux.Suivez-moi, vous verrez par votre expérienceÀ quelle folle confianceVous portait cette ambition;Venez, et préparez autant de patience, 1655 Qu'on vous voit de présomption. QUATRIÈME INTERMÈDE La scène représente les Enfers. On y voit une mer toute de feu, dont les flots sont dans une perpétuelle agitation. Cette mer effroyable est bornée par des ruines enflammées; et au milieu de ses flots agités, au travers d'une gueule affreuse, paraît le palais infernal de Pluton. Huit Furies en sortent, et forment une entrée de ballet, où elles se réjouissent de la rage qu'elles ont allumée dans l'âme de la plus douce des Divinités. Un Lutin mêle quantité de sauts périlleux à leurs danses, cependant que Psyché qui a passé aux Enfers par le commandement de Vénus, repasse dans la barque de Charon, avec la boîte qu'elle a reçue de Proserpine pour cette déesse.
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