Dom Garcie de Navarre ou le Prince jaloux » Acte 3 » SCÈNE III
DOM GARCIE, DONE ELVIRE, DOM SYLVE. DOM GARCIE Madame, mon abord, comme je connais bien,Assez mal à propos trouble votre entretien;Et mes pas en ce lieu, s'il faut que je le die*,Ne croyaient pas trouver si bonne compagnie. DONE ELVIRE 970 Cette vue, en effet, surprend au dernier point,Et de même que vous, je ne l'attendais point. DOM GARCIE Oui, Madame, je crois, que de cette visite,Comme vous l'assurez, vous n'étiez point instruite;Mais, Seigneur, vous deviez nous faire au moins l'honneur 975 De nous donner avis de ce rare bonheur;Et nous mettre en état, sans nous vouloir surprendre,De vous rendre en ces lieux, ce qu'on voudrait vous rendre. DOM SYLVE Les héroïques soins vous occupent si fort,Que de vous en tirer, Seigneur, j'aurais eu tort; 980 Et des grands conquérants les sublimes penséesSont aux civilités avec peine abaissées. DOM GARCIE Mais les grands conquérants, dont on vante les soins,Loin d'aimer le secret, affectent les témoins.Leur âme dès l'enfance à la gloire élevée, 985 Les fait dans leurs projets aller tête levée;Et s'appuyant toujours sur des hauts sentiments,Ne s'abaisse jamais à des déguisements.Ne commettez-vous point vos vertus héroïques,En passant dans ces lieux par des sourdes pratiques*; 990 Et ne craignez-vous point, qu'on puisse aux yeux de tousTrouver cette action trop indigne de vous? DOM SYLVE Je ne sais si quelqu'un blâmera ma conduite,Au secret que j'ai fait d'une telle visite;Mais je sais qu'aux projets qui veulent la clarté, 995 Prince, je n'ai jamais cherché l'obscurité.Et quand j'aurai sur vous à faire une entreprise,Vous n'aurez pas sujet de blâmer la surprise;Il ne tiendra qu'à vous de vous en garantir,Et l'on prendra le soin de vous en avertir. 1000 Cependant demeurons aux termes ordinaires,Remettons nos débats après d'autres affairesEt d'un sang un peu chaud réprimant les bouillons,N'oublions pas tous deux, devant qui nous parlons. DONE ELVIRE Prince, vous avez tort, et sa visite est telle,Que vous... DOM GARCIE 1005 Ah! c'en est trop que prendre sa querelle, Madame, et votre esprit devrait feindre un peu mieux,Lorsqu'il veut ignorer sa venue en ces lieux.Cette chaleur si prompte, à vouloir la défendre,Persuade assez mal, qu'elle ait pu vous surprendre. DONE ELVIRE 1010 Quoi que vous soupçonniez, il m'importe si peu,Que j'aurais du regret d'en faire un désaveu. DOM GARCIE Poussez donc jusqu'au bout cet orgueil héroïque,Et que sans hésiter tout votre cœur s'explique;C'est au déguisement donner trop de crédit, 1015 Ne désavouez rien, puisque vous l'avez dit.Tranchez, tranchez le mot, forcez toute contrainte,Dites que de ses feux vous ressentez l'atteinte;Que pour vous sa présence a des charmes si doux... DONE ELVIRE Et si je veux l'aimer m'en empêcherez-vous? 1020 Avez-vous sur mon cœur quelque empire à prétendre,Et pour régler mes vœux ai-je votre ordre à prendre?Sachez que trop d'orgueil a pu vous décevoir,Si votre cœur sur moi s'est cru quelque pouvoir;Et que mes sentiments sont d'une âme trop grande 1025 Pour vouloir les cacher, lorsqu'on me les demande:Je ne vous dirai point si le Comte est aimé,Mais apprenez de moi qu'il est fort estimé,Que ses hautes vertus, pour qui je m'intéresse,Méritent mieux que vous les vœux d'une Princesse, 1030 Que je garde aux ardeurs, aux soins qu'il me fait voirTout le ressentiment* qu'une âme puisse avoir.Et que si des destins la fatale puissance,M'ôte la liberté d'être sa récompense;Au moins est-il en moi de promettre à ses vœux, 1035 Qu'on ne me verra point le butin de vos feux.Et sans vous amuser d'une attente frivole,C'est à quoi je m'engage, et je tiendrai parole.Voilà mon cœur ouvert, puisque vous le voulez,Et mes vrais sentiments à vos yeux étalés; 1040 Étes-vous satisfait, et mon âme attaquée,S'est-elle à votre avis assez bien expliquée?Voyez pour vous ôter tout lieu de soupçonner,S'il reste quelque jour* encore à vous donner*;Cependant si vos soins s'attachent à me plaire, 1045 Songez que votre bras, Comte, m'est nécessaire;Et d'un capricieux, quels que soient les transports,Qu'à punir nos tyrans, il doit tous ses efforts.Fermez l'oreille, enfin, à toute sa furie,Et pour vous y porter, c'est moi qui vous en prie.
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