Psyché » Acte 1 » SCÈNE III
PSYCHÉ, CIDIPPE, AGLAURE, CLÉOMÈNE, AGÉNOR. CIDIPPE Venez jouir, ma sœur, de ce qu'on vous apprête. AGLAURE 385 Préparez vos attraits à recevoir iciLe triomphe nouveau d'une illustre conquête. CIDIPPE Ces princes ont tous deux si bien senti vos coups,Qu'à vous le découvrir leur bouche se dispose. PSYCHÉ Du sujet qui les tient si rêveurs parmi nous 390 Je ne me croyais pas la cause,Et j'aurais cru toute autre choseEn les voyant parler à vous. AGLAURE N'ayant ni beauté, ni naissanceÀ pouvoir mériter leur amour et leurs soins, 395 Ils nous favorisent au moinsDe l'honneur de la confidence. CLÉOMÈNE L'aveu qu'il nous faut faire à vos divins appas,Est sans doute, Madame, un aveu téméraire;Mais tant de cœurs près du trépas, 400 Sont par de tels aveux forcés à vous déplaire,Que vous êtes réduite à ne les punir pasDes foudres de votre colère.Vous voyez en nous deux amis,Qu'un doux rapport d'humeurs sut joindre dès l'enfance; 405 Et ces tendres liens se sont vus affermisPar cent combats d'estime et de reconnaissance.Du Destin ennemi les assauts rigoureux,Les mépris de la mort, et l'aspect des supplices,Par d'illustres éclats de mutuels offices 410 Ont de notre amitié signalé les beaux nœuds:Mais à quelques essais qu'elle se soit trouvée,Son grand triomphe est en ce jour,Et rien ne fait tant voir sa constance éprouvée,Que de se conserver au milieu de l'amour. 415 Oui, malgré tant d'appas, son illustre constanceAux lois qu'elle nous fait, a soumis tous nos vœux;Elle vient d'une douce et pleine déférenceRemettre à votre choix le succès de nos feux,Et pour donner un poids à notre concurrence, 420 Qui des raisons d'État entraîne la balanceSur le choix de l'un de nous deux,Cette même amitié s'offre sans répugnanceD'unir nos deux États au sort du plus heureux. AGÉNOR Oui, de ces deux États, Madame, 425 Que sous votre heureux choix nous nous offrons d'unir,Nous voulons faire à notre flammeUn secours pour vous obtenir.Ce que pour ce bonheur, près du Roi votre pèreNous nous sacrifions tous deux, 430 N'a rien de difficile à nos cœurs amoureux,Et c'est au plus heureux faire un don nécessaireD'un pouvoir dont le malheureux,Madame, n'aura plus affaire. PSYCHÉ Le choix que vous m'offrez, Princes, montre à mes yeux 435 De quoi remplir les vœux de l'âme la plus fière,Et vous me le parez tous deux d'une manière,Qu'on ne peut rien offrir qui soit plus précieux.Vos feux, votre amitié, votre vertu suprême,Tout me relève en vous l'offre de votre foi, 440 Et j'y vois un mérite à s'opposer lui-mêmeÀ ce que vous voulez de moi.Ce n'est pas à mon cœur qu'il faut que je défèrePour entrer sous de tels liens;Ma main, pour se donner, attend l'ordre d'un père, 445 Et mes sœurs ont des droits qui vont devant les miens.Mais si l'on me rendait sur mes vœux absolue,Vous y pourriez avoir trop de part à la fois,Et toute mon estime entre vous suspendue,Ne pourrait sur aucun laisser tomber mon choix. 450 À l'ardeur de votre poursuiteJe répondrais assez de mes vœux les plus doux;Mais c'est parmi tant de mériteTrop que deux cœurs pour moi, trop peu qu'un cœur pour vous.De mes plus doux souhaits j'aurais l'âme gênée 455 À l'effort de votre amitié,Et j'y vois l'un de vous prendre une destinéeÀ me faire trop de pitié.Oui, Princes, à tous ceux dont l'amour suit le vôtre,Je vous préférerais tous deux avec ardeur; 460 Mais je n'aurais jamais le cœurDe pouvoir préférer l'un de vous deux à l'autre.À celui que je choisirais,Ma tendresse ferait un trop grand sacrifice,Et je m'imputerais à barbare injustice 465 Le tort qu'à l'autre je ferais.Oui, tous deux vous brillez de trop de grandeur d'âme,Pour en faire aucun malheureux,Et vous devez chercher dans l'amoureuse flammeLe moyen d'être heureux tous deux. 470 Si votre cœur me considèreAssez pour me souffrir de disposer de vous,J'ai deux sœurs capables de plaire,Qui peuvent bien vous faire un destin assez doux,Et l'amitié me rend leur personne assez chère, 475 Pour vous souhaiter leurs époux. CLÉOMÈNE Un cœur dont l'amour est extrêmePeut-il bien consentir, hélas,D'être donné par ce qu'il aime?Sur nos deux cœurs, Madame, à vos divins appas 480 Nous donnons un pouvoir suprême,Disposez-en pour le trépas,Mais pour une autre que vous-mêmeAyez cette bonté de n'en disposer pas. AGÉNOR Aux Princesses, Madame, on ferait trop d'outrage, 485 Et c'est pour leurs attraits un indigne partage,Que les restes d'une autre ardeur;Il faut d'un premier feu la pureté fidèle,Pour aspirer à cet honneurOù votre bonté nous appelle, 490 Et chacune mérite un cœurQui n'ait soupiré que pour elle. AGLAURE Il me semble, sans nul courroux,Qu'avant que de vous en défendre,Princes, vous deviez bien attendre 495 Qu'on se fût expliqué sur vous.Nous croyez-vous un cœur si facile et si tendre?Et lorsqu'on parle ici de vous donner à nous,Savez-vous si l'on veut vous prendre? CIDIPPE Je pense que l'on a d'assez hauts sentiments 500 Pour refuser un cœur qu'il faut qu'on sollicite,Et qu'on ne veut devoir qu'à son propre mériteLa conquête de ses amants. PSYCHÉ J'ai cru pour vous, mes sœurs, une gloire assez grande,Si la possession d'un mérite si haut...
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