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Actes de l'oeuvre
Le Dépit Amoureux :

¤Acte I
¤Acte II
ºSCÈNE PREMIÈRE
ºScene II
ºScene III
ºScene IV
ºScene V
ºScene VI
¤Acte III
¤Acte IV
¤Acte V
 
 

 

Le Dépit Amoureux » Acte II » SCÈNE PREMIÈRE

ASCAGNE, FROSINE.

FROSINE
Ascagne, je suis fille à secret, Dieu merci.

ASCAGNE
Mais, pour un tel discours, sommes-nous bien ici*?
Prenons garde qu'aucun ne nous vienne surprendre,
Ou que de quelque endroit on ne nous puisse entendre.

FROSINE
345 Nous serions au logis beaucoup moins sûrement:
Ici de tous côtés on découvre* aisément,
Et nous pouvons parler avec toute assurance.

ASCAGNE
Hélas! que j'ai de peine à rompre mon silence!

FROSINE
Ouais! ceci doit donc être un important secret.

ASCAGNE
350 Trop, puisque je le dis à vous-même à regret*,
Et que si je pouvais le cacher davantage,
Vous ne le sauriez point.

FROSINE
Ha! c'est me faire outrage
Feindre à* s'ouvrir à moi! dont vous avez connu
Dans tous vos intérêts l'esprit si retenu.
355 Moi nourrie avec vous, et qui tiens sous silence
Des choses qui vous sont de si grande importance!
Qui sais...

ASCAGNE
Oui, vous savez la secrète raison
Qui cache aux yeux de tous mon sexe et ma maison:
Vous savez que dans celle où passa mon bas âge
360 Je suis, pour y pouvoir retenir l'héritage
Que relâchait ailleurs le jeune Ascagne mort*,
Dont mon déguisement fait revivre le sort,
Et c'est aussi pourquoi ma bouche se dispense*
À vous ouvrir mon cœur avec plus d'assurance.
365 Mais, avant que passer, Frosine, à ce discours,
Éclaircissez un doute, où je tombe toujours.
Se pourrait-il qu'Albert ne sût rien du mystère
Qui masque ainsi mon sexe et l'a rendu mon père ?

FROSINE
En bonne foi, ce point sur quoi vous me pressez,
370 Est une affaire aussi qui m'embarrasse assez:
Le fond de cette intrigue est pour moi lettre close;
Et ma mère ne put m'éclaircir mieux la chose.
Quand il mourut ce fils, l'objet de tant d'amour,
Au destin de qui même, avant qu'il vînt au jour,
375 Le testament d'un oncle abondant en richesses,
D'un soin particulier avait fait des largesses,
Et que sa mère fit un secret de sa mort,
De son époux absent redoutant le transport,
S'il voyait chez un autre aller tout l'héritage
380 Dont sa maison tirait un si grand avantage*,
Quand, dis-je, pour cacher un tel événement,
La supposition fut de son sentiment*,
Et qu'on vous prit chez nous où vous étiez nourrie,
Votre mère d'accord de cette tromperie
385 Qui remplaçait ce fils à sa garde commis,
En faveur des présents le secret fut promis.
Albert ne l'a point su de nous; et pour sa femme,
L'ayant plus de douze ans conservé dans son âme,
Comme le mal fut prompt dont on la vit mourir,
390 Son trépas imprévu ne put rien découvrir.
Mais, cependant je vois qu'il garde intelligence
Avec celle de qui vous tenez la naissance.
J'ai su, qu'en secret même, il lui faisait du bien;
Et peut-être cela ne se fait pas pour rien.
395 D'autre part, il vous veut porter au mariage*;
Et comme il le prétend, c'est un mauvais langage*:
Je ne sais s'il saurait la supposition
Sans le déguisement; mais la digression
Tout insensiblement pourrait trop loin s'étendre:
400 Revenons au secret que je brûle d'apprendre.

ASCAGNE
Sachez donc que l'amour ne sait point s'abuser;
Que mon sexe à ses yeux n'a pu se déguiser,
Et que ses traits subtils, sous l'habit que je porte,
Ont su trouver le cœur d'une fille peu forte:
J'aime enfin.

FROSINE
Vous aimez ?

ASCAGNE
405 Frosine, doucement;
N'entrez pas tout à fait dedans l'étonnement:
Il n'est pas temps encore: et ce cœur qui soupire
A bien pour vous surprendre autre chose à vous dire.

FROSINE
Et quoi ?

ASCAGNE
J'aime Valère.

FROSINE
Ha! vous avez raison,
410 L'objet de votre amour, lui dont à la maison*
Votre imposture enlève un puissant héritage,
Et qui de votre sexe ayant le moindre ombrage,
Verrait incontinent ce bien lui retourner,
C'est encore un plus grand sujet de s'étonner.

ASCAGNE
415 J'ai de quoi toutefois surprendre plus votre âme:
Je suis sa femme.

FROSINE
Oh Dieux! sa femme!

ASCAGNE
Oui, sa femme.

FROSINE
Ha! certes celui-là l'emporte, et vient à bout
De toute ma raison.

ASCAGNE
Ce n'est pas encor tout.

FROSINE
Encore ?

ASCAGNE
Je la suis, dis-je, sans qu'il le pense
420 Ni qu'il ait de mon sort la moindre connaissance.

FROSINE
Ho! poussez; je le quitte*, et ne raisonne plus,
Tant mes sens coup sur coup se treuvent confondus.
À ces énigmes-là je ne puis rien comprendre.

ASCAGNE
Je vais vous l'expliquer, si vous voulez m'entendre.
425 Valère dans les fers de ma sœur arrêté
Me semblait un amant digne d'être écouté,
Et je ne pouvais voir qu'on rebutât sa flamme*,
Sans qu'un peu d'intérêt touchât pour lui mon âme.
Je voulais que Lucile aimât son entretien,
430 Je blâmais ses rigueurs, et les blâmai si bien,
Que moi-même j'entrai, sans pouvoir m'en défendre,
Dans tous les sentiments qu'elle ne pouvait prendre.
C'était en lui parlant moi qu'il persuadait,
Je me laissais gagner aux soupirs qu'il perdait,
435 Et ses vœux rejetés de l'objet qui l'enflamme
Étaient, comme vainqueurs, reçus dedans mon âme.
Ainsi, mon cœur, Frosine, un peu trop faible, hélas!
Se rendit à des soins qu'on ne lui rendait pas,
Par un coup réfléchi*, reçut une blessure,
440 Et paya pour un autre* avec beaucoup d'usure.
Enfin, ma chère, enfin, l'amour que j'eus pour lui
Se voulut expliquer, mais sous le nom d'autrui:
Dans ma bouche*, une nuit, cet amant trop aimable
Crut rencontrer Lucile à ses vœux favorable,
445 Et je sus ménager si bien cet entretien,
Que du déguisement il ne reconnut rien.
Sous ce voile trompeur qui flattait sa pensée,
Je lui dis que pour lui mon âme était blessée;
Mais que, voyant mon père en d'autres sentiments,
450 Je devais une feinte à ses commandements;
Qu'ainsi de notre amour nous ferions un mystère,
Dont la nuit seulement serait dépositaire,
Et qu'entre nous de jour, de peur de rien gâter,
Tout entretien secret se devait éviter;
455 Qu'il me verrait alors la même indifférence,
Qu'avant que nous eussions aucune intelligence,
Et que de son côté, de même que du mien,
Geste, parole, écrit, ne m'en dît jamais rien.
Enfin, sans m'arrêter sur toute l'industrie
460 Dont j'ai conduit le fil de cette tromperie,
J'ai poussé jusqu'au bout un projet si hardi,
Et me suis assuré l'époux que je vous di.

FROSINE
Peste! les grands talents que votre esprit possède*!
Dirait-on qu'elle y touche, avec sa mine froide* ?
465 Cependant, vous avez été bien vite ici;
Car je veux que la chose ait d'abord réussi,
Ne jugez-vous pas bien, à regarder l'issue,
Qu'elle ne peut longtemps éviter d'être sue ?

ASCAGNE
Quand l'amour est bien fort, rien ne peut l'arrêter;
470 Ses projets seulement vont à se contenter,
Et, pourvu qu'il arrive au but qu'il se propose,
Il croit que tout le reste après est peu de chose.
Mais, enfin, aujourd'hui je me découvre à vous,
Afin que vos conseils... Mais voici cet époux.