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Actes de l'oeuvre
Dom Garcie de Navarre ou le Prince jaloux :

¤Acte 1
¤Acte 2
¤Acte 3
¤Acte 4
ºSCÈNE PREMIÈRE
ºSCÈNE II
ºSCÈNE III
ºSCÈNE IV
ºSCÈNE V
ºSCÈNE VI
ºSCÈNE VII
ºSCÈNE VIII
ºSCÈNE IX
¤Acte 5
 
 

 

Dom Garcie de Navarre ou le Prince jaloux » Acte 4 » SCÈNE VIII

DONE ELVIRE, DOM GARCIE, DOM ALVAR.


DONE ELVIRE
Hé bien que voulez-vous, et quel espoir, de grâce,
Après vos procédés peut flatter votre audace?
Osez-vous à mes yeux encor vous présenter,
Et que me direz-vous que je doive écouter?

DOM GARCIE
1260 Que toutes les horreurs, dont une âme est capable
À vos déloyautés n'ont rien de comparable,
Que le sort, les démons, et le Ciel en courroux,
N'ont jamais rien produit de si méchant que vous*.

DONE ELVIRE
Ah! vraiment j'attendais l'excuse d'un outrage,
1265 Mais à ce que je vois, c'est un autre langage.

DOM GARCIE
Oui, oui, c'en est un autre, et vous n'attendiez pas
Que j'eusse découvert le traître dans vos bras,
Qu'un funeste hasard par la porte entr'ouverte,
Eût offert à mes yeux votre honte, et ma perte.
1270 Est-ce l'heureux amant sur ses pas revenu,
Ou quelque autre rival qui m'était inconnu?
Ô Ciel! donne à mon cœur des forces suffisantes
Pour pouvoir supporter des douleurs si cuisantes,
Rougissez maintenant, vous en avez raison*,
1275 Et le masque est levé de votre trahison.
Voilà ce que marquaient les troubles de mon âme,
Ce n'était pas en vain que s'alarmait ma flamme;
Par ces fréquents soupçons qu'on trouvait odieux,
Je cherchais le malheur qu'ont rencontré mes yeux.
1280 Et malgré tous vos soins, et votre adresse à feindre,
Mon astre me disait ce que j'avais à craindre;
Mais ne présumez pas que sans être vengé,
Je souffre le dépit de me voir outragé.
Je sais que sur les vœux on n'a point de puissance,
1285 Que l'amour veut partout naître sans dépendance,
Que jamais par la force on n'entra dans un cœur,
Et que toute âme est libre à nommer son vainqueur:
Aussi ne trouverais-je aucun sujet de plainte,
Si pour moi votre bouche avait parlé sans feinte,
1290 Et son arrêt livrant mon espoir à la mort,
Mon cœur n'aurait eu droit de s'en prendre qu'au sort.
Mais d'un aveu trompeur voir ma flamme applaudie,
C'est une trahison, c'est une perfidie,
Qui ne saurait trouver de trop grands châtiments,
1295 Et je puis tout permettre à mes ressentiments;
Non, non, n'espérez rien après un tel outrage,
Je ne suis plus à moi, je suis tout à la rage,
Trahi de tous côtés, mis dans un triste état,
Il faut que mon amour se venge avec éclat,
1300 Qu'ici j'immole tout à ma fureur extrême,
Et que mon désespoir achève par moi-même.

DONE ELVIRE
Assez paisiblement vous a-t-on écouté,
Et pourrai-je à mon tour parler en liberté?

DOM GARCIE
Et par quels beaux discours que l'artifice inspire...

DONE ELVIRE
1305 Si vous avez encor quelque chose à me dire,
Vous pouvez l'ajouter, je suis prête à l'ouïr,
Sinon faites au moins que je puisse jouir
De deux, ou trois moments de paisible audience.

DOM GARCIE
Hé bien j'écoute, ô Ciel, quelle est ma patience!

DONE ELVIRE
1310 Je force ma colère, et veux sans nulle aigreur,
Répondre à ce discours si rempli de fureur.

DOM GARCIE
C'est que vous voyez bien...

DONE ELVIRE
Ah! j'ai prêté l'oreille,
Autant qu'il vous a plu, rendez-moi la pareille;
J'admire mon destin, et jamais sous les cieux,
1315 Il ne fut rien, je crois, de si prodigieux,
Rien dont la nouveauté soit plus inconcevable,
Et rien que la raison rende moins supportable.
Je me vois un amant, qui sans se rebuter
Applique tous ses soins à me persécuter,
1320 Qui dans tout cet amour que sa bouche m'exprime,
Ne conserve pour moi nul sentiment d'estime,
Rien au fond de ce cœur qu'ont pu blesser mes yeux,
Qui fasse droit au sang que j'ai reçu des Cieux,
Et de mes actions défende l'innocence
1325 Contre le moindre effort d'une fausse apparence.
Oui, je vois... Ah! surtout ne m'interrompez point,
Je vois, dis-je, mon sort malheureux à ce point,
Qu'un cœur qui dit qu'il m'aime, et qui doit faire croire,
Que quand tout l'univers douterait de ma gloire,
1330 Il voudrait contre tous en être le garant,
Est celui qui s'en fait l'ennemi le plus grand.
On ne voit échapper aux soins que prend sa flamme
Aucune occasion de soupçonner mon âme;
Mais c'est peu des soupçons, il en fait des éclats,
1335 Que sans être blessé l'amour ne souffre pas.
Loin d'agir en amant, qui plus que la mort même,
Appréhende toujours d'offenser ce qu'il aime,
Qui se plaint doucement, et cherche avec respect
À pouvoir s'éclaircir de ce qu'il croit suspect,
1340 À toute extrémité dans ses doutes il passe,
Et ce n'est que fureur, qu'injure, et que menace;
Cependant aujourd'hui je veux fermer les yeux
Sur tout ce qui devrait me le rendre odieux,
Et lui donner moyen par une bonté pure
1345 De tirer son salut d'une nouvelle injure.
Ce grand emportement qu'il m'a fallu souffrir,
Part de ce qu'à vos yeux le hasard vient d'offrir,
J'aurais tort de vouloir démentir votre vue,
Et votre âme sans doute a dû paraître émue.

DOM GARCIE
Et n'est-ce pas...

DONE ELVIRE
1350 Encore un peu d'attention,
Et vous allez savoir ma résolution.
Il faut que de nous deux le destin s'accomplisse,
Vous êtes maintenant sur un grand précipice,
Et ce que votre cœur pourra délibérer,
1355 Va vous y faire choir, ou bien vous en tirer.
Si malgré cet objet qui vous a pu surprendre,
Prince, vous me rendez ce que vous devez rendre,
Et ne demandez point d'autre preuve que moi
Pour condamner l'erreur du trouble où je vous voi,
1360 Si de vos sentiments la prompte déférence,
Veut sur ma seule foi croire mon innocence,
Et de tous vos soupçons démentir le crédit,
Pour croire aveuglément ce que mon cœur vous dit;
Cette soumission, cette marque d'estime,
1365 Du passé dans ce cœur efface tout le crime.
Je rétracte à l'instant, ce qu'un juste courroux
M'a fait dans la chaleur prononcer contre vous;
Et si je puis un jour choisir ma destinée,
Sans choquer les devoirs du rang où je suis née,
1370 Mon honneur satisfait par ce respect soudain
Promet à votre amour, et mes vœux, et ma main;
Mais prêtez bien l'oreille, à ce que je vais dire,
Si cet offre* sur vous obtient si peu d'empire,
Que vous me refusiez de me faire entre nous
1375 Un sacrifice entier de vos soupçons jaloux;
S'il ne vous suffit pas de toute l'assurance
Que vous peuvent donner mon cœur, et ma naissance,
Et que de votre esprit les ombrages puissants,
Forcent mon innocence à convaincre vos sens,
1380 Et porter à vos yeux l'éclatant témoignage
D'une vertu sincère à qui l'on fait outrage:
Je suis prête à le faire, et vous serez content,
Mais il vous faut de moi détacher à l'instant,
À mes vœux pour jamais renoncer de vous-même,
1385 Et j'atteste du Ciel la puissance suprême,
Que quoi que le destin puisse ordonner de nous,
Je choisirai plutôt d'être à la mort qu'à vous;
Voilà dans ces deux choix de quoi vous satisfaire,
Avisez* maintenant celui qui peut vous plaire.

DOM GARCIE
1390 Juste Ciel! jamais rien peut-il être inventé*
Avec plus d'artifice, et de déloyauté?
Tout ce que des enfers la malice étudie,
A-t-il rien de si noir que cette perfidie,
Et peut-elle trouver dans toute sa rigueur
1395 Un plus cruel moyen d'embarrasser un cœur?
Ah! que vous savez bien, ici contre moi-même*,
Ingrate, vous servir de ma faiblesse extrême,
Et ménager pour vous l'effort prodigieux
De ce fatal amour né de vos traîtres yeux,
1400 Parce qu'on est surprise, et qu'on manque d'excuse,
D'un offre de pardon on emprunte la ruse;
Votre feinte douceur forge un amusement*,
Pour divertir l'effet de mon ressentiment;
Et par le nœud subtil du choix qu'elle embarrasse,
1405 Veut soustraire un perfide au coup qui le menace,
Oui, vos dextérités veulent me détourner
D'un éclaircissement qui vous doit condamner;
Et votre âme feignant une innocence entière
Ne s'offre à m'en donner une pleine lumière,
1410 Qu'à des conditions, qu'après d'ardents souhaits,
Vous pensez que mon cœur n'acceptera jamais;
Mais vous serez trompée en me croyant surprendre,
Oui, oui, je prétends voir ce qui doit vous défendre,
Et quel fameux prodige accusant ma fureur,
1415 Peut de ce que j'ai vu justifier l'horreur.

DONE ELVIRE
Songez que par ce choix vous allez vous prescrire
De ne plus rien prétendre au cœur de Done Elvire.

DOM GARCIE
Soit, je souscris à tout, et mes vœux aussi bien,
En l'état où je suis ne prétendent plus rien.

DONE ELVIRE
1420 Vous vous repentirez de l'éclat que vous faites.

DOM GARCIE
Non, non, tous ces discours sont de vaines défaites,
Et c'est moi bien plutôt qui dois vous avertir,
Que quelque autre dans peu se pourra repentir;
Le traître, quel qu'il soit, n'aura pas l'avantage,
1425 De dérober sa vie à l'effort de ma rage.

DONE ELVIRE
Ah! c'est trop en souffrir, et mon cœur irrité
Ne doit plus conserver une sotte bonté;
Abandonnons l'ingrat à son propre caprice,
Et puisqu'il veut périr, consentons qu'il périsse*;
1430 Élise... À cet éclat vous voulez me forcer,
Mais je vous apprendrai que c'est trop m'offenser.
(Élise entre.)
Faites un peu sortir la personne chérie...
Allez, vous m'entendez, dites que je l'en prie.

DOM GARCIE
Et je puis...

DONE ELVIRE
Attendez vous serez satisfait.

ÉLISE
1435 Voici de son jaloux sans doute un nouveau trait.

DONE ELVIRE
Prenez garde qu'au moins cette noble colère,
Dans la même fierté, jusqu'au bout persévère;
Et surtout désormais songez bien à quel prix
Vous avez voulu voir vos soupçons éclaircis.
1440 Voici, grâces au Ciel, ce qui les a fait naître,
Ces soupçons obligeants que l'on me fait paraître,
Voyez bien ce visage, et si de Done Ignès,
Vos yeux au même instant n'y connaissent les traits.