Dom Garcie de Navarre ou le Prince jaloux » Acte 4 » SCÈNE IX
DOM GARCIE, DONE ELVIRE, DONE IGNÈS, DOM ALVAR, ÉLISE. DOM GARCIE Ô Ciel! DONE ELVIRE Si la fureur dont votre âme est émue, 1445 Vous trouble jusque-là l'usage de la vue,Vous avez d'autres yeux à pouvoir consulter,Qui ne vous laisseront aucun lieu de douter.Sa mort est une adresse au besoin inventéePour fuir l'autorité qui l'a persécutée, 1450 Et sous un tel habit elle cachait son sortPour mieux jouir du fruit de cette feinte mort.Madame, pardonnez, s'il faut que je consenteÀ trahir vos secrets, et tromper votre attente;Je me vois exposée à sa témérité, 1455 Toutes mes actions n'ont plus de liberté,Et mon honneur en butte aux soupçons qu'il peut prendre,Est réduit à toute heure aux soins de se défendre.Nos doux embrassements qu'a surpris ce jaloux,De cent indignités m'ont fait souffrir les coups. 1460 Oui, voilà le sujet d'une fureur si prompte,Et l'assuré témoin qu'on produit de ma honte;Jouissez à cette heure en tyran absoluDe l'éclaircissement que vous avez voulu;Mais sachez que j'aurai sans cesse la mémoire 1465 De l'outrage sanglant qu'on a fait à ma gloire,Et si je puis jamais oublier mes serments,Tombent sur moi du Ciel les plus grands châtiments,Qu'un tonnerre éclatant mette ma tête en poudre,Lorsqu'à souffrir vos feux je pourrai me résoudre. 1470 Allons, Madame, allons, ôtons-nous de ces lieux,Qu'infectent les regards d'un monstre furieux,Fuyons-en promptement l'atteinte envenimée,Évitons les effets de sa rage animée,Et ne faisons des vœux dans nos justes desseins, 1475 Que pour nous voir bientôt affranchir de ses mains. DONE IGNÈS Seigneur, de vos soupçons l'injuste violence,À la même vertu vient de faire une offense*. DOM GARCIE Quelles tristes clartés dissipent mon erreur,Enveloppent mes sens d'une profonde horreur, 1480 Et ne laissent plus voir à mon âme abattue,Que l'effroyable objet d'un remords qui me tue!Ah! Dom Alvar, je vois que vous avez raison,Mais l'enfer dans mon cœur a soufflé son poison;Et par un trait fatal d'une rigueur extrême, 1485 Mon plus grand ennemi se rencontre en moi-même.Que me sert-il d'aimer du plus ardent amour,Qu'une âme consumée ait jamais mis au jour;Si par ses mouvements qui font toute ma peine,Cet amour à tous coups se rend digne de haine? 1490 Il faut, il faut venger par mon juste trépasL'outrage que j'ai fait à ses divins appas;Aussi bien quel conseil aujourd'hui puis-je suivre?Ah! j'ai perdu l'objet, pour qui j'aimais à vivre,Si j'ai pu renoncer à l'espoir de ses vœux, 1495 Renoncer à la vie, est beaucoup moins fâcheux. DOM ALVAR Seigneur. DOM GARCIE Non, Dom Alvar, ma mort est nécessaire, Il n'est soins, ni raisons qui m'en puissent distraire;Mais il faut que mon sort en se précipitantRende à cette Princesse un service éclatant. 1500 Et je veux me chercher dans cette illustre envieLes moyens glorieux de sortir de la vie.Faire par un grand coup qui signale ma foi,Qu'en expirant pour elle, elle ait regret à moi,Et qu'elle puisse dire en se voyant vengée, 1505 "C'est par son trop d'amour qu'il m'avait outragée."Il faut que de ma main un illustre attentatPorte une mort trop due au sein de Mauregat,Que j'aille prévenir par une belle audace,Le coup, dont la Castille avec bruit le menace, 1510 Et j'aurai des douceurs dans mon instant fatal,De ravir cette gloire, à l'espoir d'un rival. DOM ALVAR Un service, Seigneur, de cette conséquenceAurait bien le pouvoir d'effacer votre offense;Mais hasarder... DOM GARCIE Allons par un juste devoir, 1515 Faire à ce noble effort servir mon désespoir.
|