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Actes de l'oeuvre
L'Avare :

¤Acte 1
¤Acte 2
ºSCÈNE PREMIÈRE
ºSCÈNE II
ºSCÈNE III
ºSCÈNE IV
ºSCÈNE V
¤Acte 3
¤Acte 4
¤Acte 5
 
 

 

L'Avare » Acte 2 » SCÈNE PREMIÈRE

CLÉANTE, LA FLÈCHE.

CLÉANTE.- Ah! traître que tu es, où t'es-tu donc allé fourrer? Ne t'avais-je pas donné ordre...

LA FLÈCHE.- Oui, Monsieur, et je m'étais rendu ici pour vous attendre de pied ferme; mais Monsieur votre père, le plus malgracieux des hommes, m'a chassé dehors malgré moi, et j'ai couru risque d'être battu.

CLÉANTE.- Comment va notre affaire? Les choses pressent plus que jamais; et depuis que je ne t'ai vu, j'ai découvert que mon père est mon rival.

LA FLÈCHE.- Votre père amoureux?

CLÉANTE.- Oui; et j'ai eu toutes les peines du monde à lui cacher le trouble où cette nouvelle m'a mis.

LA FLÈCHE.- Lui se mêler d'aimer! De quoi diable s'avise-t-il? Se moque-t-il du monde? Et l'amour a-t-il été fait pour des gens bâtis comme lui?

CLÉANTE.- Il a fallu, pour mes péchés, que cette passion lui soit venue en tête.

LA FLÈCHE.- Mais par quelle raison lui faire un mystère de votre amour?

CLÉANTE.- Pour lui donner moins de soupçon, et me conserver au besoin des ouvertures* plus aisées pour détourner ce mariage. Quelle réponse t'a-t-on faite?

LA FLÈCHE.- Ma foi, Monsieur, ceux qui empruntent sont bien malheureux; et il faut essuyer d'étranges choses, lorsqu'on en est réduit à passer, comme vous, par les mains des fesse-mathieux*!

CLÉANTE.- L'affaire ne se fera point?

LA FLÈCHE.- Pardonnez-moi. Notre maître Simon, le courtier qu'on nous a donné, homme agissant, et plein de zèle, dit qu'il a fait rage pour vous; et il assure, que votre seule physionomie lui a gagné le cœur.

CLÉANTE.- J'aurai les quinze mille francs que je demande?

LA FLÈCHE.- Oui; mais à quelques petites conditions, qu'il faudra que vous acceptiez, si vous avez dessein que les choses se fassent.

CLÉANTE.- T'a-t-il fait parler à celui qui doit prêter l'argent?

LA FLÈCHE.- Ah! vraiment, cela ne va pas de la sorte. Il apporte encore plus de soin à se cacher que vous, et ce sont des mystères bien plus grands que vous ne pensez. On ne veut point du tout dire son nom, et l'on doit aujourd'hui l'aboucher avec vous dans une maison empruntée, pour être instruit, par votre bouche, de votre bien, et de votre famille; et je ne doute point que le seul nom de votre père ne rende les choses faciles.

CLÉANTE.- Et principalement notre mère* étant morte, dont on ne peut m'ôter le bien.

LA FLÈCHE.- Voici quelques articles qu'il a dictés lui-même à notre entremetteur, pour vous être montrés, avant que de rien faire.

Supposé que le prêteur voie toutes ses sûretés, et que l'emprunteur soit majeur, et d'une famille où le bien soit ample, solide, assuré, clair, et net de tout embarras; on fera une bonne et exacte obligation par-devant un notaire, le plus honnête homme qu'il se pourra, et qui pour cet effet sera choisi par le prêteur, auquel il importe le plus que l'acte soit dûment dressé.

CLÉANTE.- Il n'y a rien à dire à cela.

LA FLÈCHE.-

Le prêteur, pour ne charger sa conscience d'aucun scrupule, prétend ne donner son argent qu'au denier dix-huit* .

CLÉANTE.- Au denier dix-huit? Parbleu, voilà qui est honnête. Il n'y a pas lieu de se plaindre.

LA FLÈCHE.- Cela est vrai.

Mais comme ledit prêteur n'a pas chez lui la somme dont il est question, et que pour faire plaisir à l'emprunteur, il est contraint lui-même de l'emprunter d'un autre, sur le pied du denier cinq* ; il conviendra que ledit premier emprunteur paye cet intérêt, sans préjudice du reste, attendu que ce n'est que pour l'obliger, que ledit prêteur s'engage à cet emprunt.

CLÉANTE.- Comment diable! quel Juif! quel Arabe est-ce là? c'est plus qu'au denier quatre*.

LA FLÈCHE.- Il est vrai, c'est ce que j'ai dit. Vous avez à voir là-dessus.

CLÉANTE.- Que veux-tu que je voie? J'ai besoin d'argent; et il faut bien que je consente à tout.

LA FLÈCHE.- C'est la réponse que j'ai faite.

CLÉANTE.- Il y a encore quelque chose?

LA FLÈCHE.- Ce n'est plus qu'un petit article.

Des quinze mille francs qu'on demande, le prêteur ne pourra compter en argent que douze mille livres; et pour les mille écus restants *, il faudra que l'emprunteur prenne les hardes, nippes, et bijoux, dont s'ensuit le mémoire, et que ledit prêteur a mis, de bonne foi, au plus modique prix qu'il lui a été possible.

CLÉANTE.- Que veut dire cela?

LA FLÈCHE.- Écoutez le mémoire.

Premièrement, un lit de quatre pieds, à bandes de points de Hongrie, appliquées fort proprement sur un drap de couleur d'olive; avec six chaises, et la courte-pointe de même; le tout bien conditionné, et doublé d'un petit taffetas changeant rouge et bleu.

Plus, un pavillon à queue* , d'une bonne serge d'Aumale rose-sèche; avec le mollet * et les franges de soie.

CLÉANTE.- Que veut-il que je fasse de cela?

LA FLÈCHE.- Attendez.

Plus, une tenture de tapisserie, des amours de Gombaut, et de Macée *. Plus, une grande table de bois de noyer, à douze colonnes, ou piliers tournés, qui se tire par les deux bouts, et garnie par le dessous de ses six escabelles.

CLÉANTE.- Qu'ai-je affaire, morbleu...

LA FLÈCHE.- Donnez-vous patience.

Plus, trois gros mousquets tout garnis de nacre de perles, avec les trois fourchettes assortissantes *.

Plus, un fourneau de brique, avec deux cornues, et trois récipients, fort utiles à ceux qui sont curieux de distiller.

CLÉANTE.- J'enrage.

LA FLÈCHE.- Doucement.

Plus, un luth de Bologne, garni de toutes ses cordes, ou peu s'en faut.

Plus, un trou-madame* , et un damier, avec un jeu de l'oie renouvelé des Grecs, fort propres à passer le temps lorsque l'on n'a que faire.

Plus, une peau d'un lézard, de trois pieds et demi, remplie de foin; curiosité agréable, pour pendre au plancher * d'une chambre.

Le tout, ci-dessus mentionné, valant loyalement plus de quatre mille cinq cents livres, et rabaissé à la valeur de mille écus, par la discrétion du prêteur.

CLÉANTE.- Que la peste l'étouffe avec sa discrétion, le traître, le bourreau qu'il est. A-t-on jamais parlé d'une usure semblable*? Et n'est-il pas content du furieux intérêt qu'il exige, sans vouloir encore m'obliger à prendre, pour trois mille livres, les vieux rogatons qu'il ramasse? Je n'aurai pas deux cents écus de tout cela; et cependant il faut bien me résoudre à consentir à ce qu'il veut; car il est en état de me faire tout accepter, et il me tient, le scélérat, le poignard sur la gorge.

LA FLÈCHE.- Je vous vois, Monsieur, ne vous en déplaise, dans le grand chemin justement que tenait Panurge pour se ruiner, prenant argent d'avance, achetant cher, vendant à bon marché, et mangeant son blé en herbe.

CLÉANTE.- Que veux-tu que j'y fasse? Voilà où les jeunes gens sont réduits par la maudite avarice des pères; et on s'étonne après cela que les fils souhaitent qu'ils meurent.

LA FLÈCHE.- Il faut avouer que le vôtre animerait contre sa vilanie*, le plus posé homme du monde. Je n'ai pas, Dieu merci, les inclinations fort patibulaires; et parmi mes confrères, que je vois se mêler de beaucoup de petits commerces, je sais tirer adroitement mon épingle du jeu, et me démêler prudemment de toutes les galanteries qui sentent tant soit peu l'échelle*: mais, à vous dire vrai, il me donnerait, par ses procédés, des tentations de le voler; et je croirais, en le volant, faire une action méritoire.

CLÉANTE.- Donne-moi un peu ce mémoire, que je le voie encore.