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Actes de l'oeuvre
L'École des maris :

¤Acte 1
¤Acte 2
¤Acte 3
ºACTE III, SCÈNE PREMIÈRE
ºSCÈNE II
ºSCÈNE III
ºSCÈNE IV
ºSCÈNE V
ºSCÈNE VI
ºSCÈNE VII
ºSCÈNE VIII
ºSCÈNE IX
 
 

 

L'École des maris » Acte 3 » SCÈNE VI


ACTE III, SCÈNE PREMIÈRE


ISABELLE
Oui le trépas cent fois, me semble moins à craindre,
Que cet hymen* fatal où l'on veut me contraindre;
805 Et tout ce que je fais pour en fuir les rigueurs,
Doit trouver quelque grâce auprès de mes censeurs;
Le temps presse, il fait nuit, allons sans crainte aucune,
À la foi d'un amant, commettre ma fortune.

SCÈNE II


SGANARELLE, ISABELLE.


SGANARELLE
Je reviens, et l'on va pour demain de ma part...

ISABELLE
Ô Ciel!

SGANARELLE
810 C'est toi, mignonne, où vas-tu donc si tard?
Tu disais qu'en ta chambre étant un peu lassée,
Tu t'allais renfermer lorsque je t'ai laissée;
Et tu m'avais prié même que mon retour,
T'y souffrît en repos jusques à demain jour.

ISABELLE
Il est vrai, mais...

SGANARELLE
Et quoi?

ISABELLE
815 Vous me voyez confuse,
Et je ne sais comment vous en dire l'excuse.

SGANARELLE
Quoi donc, que pourrait-ce être?

ISABELLE
Un secret surprenant;
C'est ma sœur qui m'oblige à sortir maintenant;
Et qui pour un dessein dont je l'ai fort blâmée,
820 M'a demandé ma chambre où je l'ai renfermée.

SGANARELLE
Comment?

ISABELLE
L'eût-on pu croire, elle aime cet amant,
Que nous avons banni.

SGANARELLE
Valère!

ISABELLE
Éperdument;
C'est un transport si grand, qu'il n'en est point de même*,
Et vous pouvez juger de sa puissance extrême,
825 Puisque seule à cette heure, elle est venue ici,
Me découvrir à moi son amoureux souci;
Me dire absolument qu'elle perdra la vie,
Si son âme n'obtient l'effet de son envie,
Que depuis plus d'un an d'assez vives ardeurs,
830 Dans un secret commerce entretenaient leurs cœurs;
Et que même ils s'étaient, leur flamme étant nouvelle,
Donné de s'épouser une foi mutuelle.

SGANARELLE
La vilaine.

ISABELLE
Qu'ayant appris le désespoir,
Où j'ai précipité celui qu'elle aime à voir;
835 Elle vient me prier de souffrir que sa flamme,
Puisse rompre un départ qui lui percerait l'âme;
Entretenir ce soir cet amant sous mon nom,
Par la petite rue où ma chambre répond
Lui peindre d'une voix qui contrefait la mienne,
840 Quelques doux sentiments dont l'appas le retienne;
Et ménager enfin pour elle adroitement,
Ce que pour moi l'on sait qu'il a d'attachement.

SGANARELLE
Et tu trouves cela...

ISABELLE
Moi j'en suis courroucée;
Quoi ma sœur, ai-je dit, êtes-vous insensée,
845 Ne rougissez-vous point d'avoir pris tant d'amour,
Pour ces sortes de gens qui changent chaque jour,
D'oublier votre sexe, et tromper l'espérance,
D'un homme dont le Ciel vous donnait l'alliance?

SGANARELLE
Il le mérite bien, et j'en suis fort ravi.

ISABELLE
850 Enfin de cent raisons mon dépit s'est servi,
Pour lui bien reprocher des bassesses si grandes,
Et pouvoir cette nuit rejeter ses demandes,
Mais elle m'a fait voir de si pressants désirs,
A tant versé de pleurs, tant poussé de soupirs,
855 Tant dit qu'au désespoir je porterais son âme,
Si je lui refusais ce qu'exige sa flamme;
Qu'à céder malgré moi mon cœur s'est vu réduit;
Et pour justifier cette intrigue de nuit,
Où me faisait du sang relâcher la tendresse,
860 J'allais faire avec moi venir coucher Lucrèce;
Dont vous me vantez tant les vertus chaque jour,
Mais vous m'avez surprise avec ce prompt retour.

SGANARELLE
Non, non, je ne veux point, chez moi tout ce mystère,
J'y pourrais consentir à l'égard de mon frère,
865 Mais on peut être vu de quelqu'un de dehors,
Et celle que je dois honorer de mon corps;
Non seulement doit être et pudique et bien née,
Il ne faut pas que même elle soit soupçonnée*;
Allons chasser l'infâme, et de sa passion...

ISABELLE
870 Ah, vous lui donneriez trop de confusion,
Et c'est avec raison qu'elle pourrait se plaindre,
Du peu de retenue, où j'ai su me contraindre,
Puisque de son dessein je dois me départir,
Attendez que du moins je la fasse sortir.

SGANARELLE
Eh bien fais.

ISABELLE
875 Mais surtout, cachez-vous, je vous prie,
Et sans lui dire rien daignez voir sa sortie.

SGANARELLE
Oui, pour l'amour de toi, je retiens mes transports,
Mais dès le même instant qu'elle sera dehors,
Je veux sans différer, aller trouver mon frère,
880 J'aurai joie à courir lui dire cette affaire.

ISABELLE
Je vous conjure donc de ne me point nommer;
Bonsoir, car tout d'un temps, je vais me renfermer.

SGANARELLE
Jusqu'à demain mamie. En quelle impatience,
Suis-je de voir mon frère, et lui conter sa chance;
885 Il en tient le bonhomme, avec tout son phébus*,
Et je n'en voudrais pas tenir vingt bons écus*.

ISABELLE, dans la maison.
Oui, de vos déplaisirs l'atteinte m'est sensible,
Mais ce que vous voulez, ma sœur, m'est impossible;
Mon honneur qui m'est cher, y court trop de hasard;
890 Adieu, retirez-vous avant qu'il soit plus tard.

SGANARELLE
La voilà qui je crois, peste de belle sorte,
De peur qu'elle revînt, fermons à clef la porte*.

ISABELLE
Ô ciel dans mes desseins, ne m'abandonnez pas.

SGANARELLE
Où pourra-t-elle aller? Suivons un peu ses pas.

ISABELLE
895 Dans mon trouble du moins, la nuit me favorise.

SGANARELLE
Au logis du galant, quelle est son entreprise?

SCÈNE III


VALÈRE, SGANARELLE, ISABELLE.


VALÈRE*
Oui, oui, je veux tenter quelque effort cette nuit,
Pour parler... Qui va là?

ISABELLE
Ne faites point de bruit,
Valère, on vous prévient, et je suis Isabelle.

SGANARELLE
900 Vous en avez menti, chienne ce n'est pas elle,
De l'honneur que tu fuis, elle suit trop les lois,
Et tu prends faussement, et son nom, et sa voix.

ISABELLE
Mais à moins de vous voir par un saint hyménée...

VALÈRE
Oui, c'est l'unique but, où tend ma destinée;
905 Et je vous donne ici ma foi que dès demain,
Je vais, où vous voudrez recevoir votre main.

SGANARELLE, à part.
Pauvre sot qui s'abuse!

VALÈRE
Entrez en assurance:
De votre Argus dupé, je brave la puissance,
Et devant qu'il vous pût ôter à mon ardeur,
910 Mon bras de mille coups lui percerait le cœur.

SGANARELLE
Ah je te promets bien, que je n'ai pas envie,
De te l'ôter l'infâme à ses feux asservie,
Que du don de ta foi je ne suis point jaloux,
Et que si j'en suis cru, tu seras son époux,
915 Oui, faisons-le surprendre avec cette effrontée,
La mémoire du père, à bon droit respectée;
Jointe au grand intérêt que je prends à la sœur,
Veut que du moins l'on tâche à lui rendre l'honneur;
Holà.

SCÈNE IV


SGANARELLE, LE COMMISSAIRE, LE NOTAIRE et SUITE.


LE COMMISSAIRE
Qu'est-ce?

SGANARELLE
Salut: Monsieur le Commissaire,
920 Votre présence en robe est ici nécessaire;
Suivez-moi, s'il vous plaît, avec votre clarté*.

LE COMMISSAIRE
Nous sortions...

SGANARELLE
Il s'agit d'un fait assez hâté*.

LE COMMISSAIRE
Quoi?

SGANARELLE
D'aller là dedans, et d'y surprendre ensemble,
Deux personnes qu'il faut qu'un bon hymen* assemble,
925 C'est une fille à nous que sous un don de foi,
Un Valère a séduite, et fait entrer chez soi;
Elle sort de famille, et noble, et vertueuse,
Mais...

LE COMMISSAIRE
Si c'est pour cela la rencontre est heureuse,
Puisque ici nous avons un notaire.

SGANARELLE
Monsieur?

LE NOTAIRE
Oui, notaire royal*.

LE COMMISSAIRE
930 De plus homme d'honneur.

SGANARELLE
Cela s'en va sans dire, entrez dans cette porte,
Et sans bruit ayez l'œil que personne n'en sorte;
Vous serez pleinement contenté* de vos soins,
Mais ne vous laissez pas graisser la patte au moins.

LE COMMISSAIRE
935 Comment vous croyez donc qu'un homme de justice...

SGANARELLE
Ce que j'en dis n'est pas pour taxer* votre office.
Je vais faire venir mon frère promptement,
Faites que le flambeau m'éclaire seulement:
Je vais le réjouir cet homme sans colère,
Holà.

SCÈNE V


ARISTE, SGANARELLE.


ARISTE
940 Qui frappe? Ah, ah, que voulez-vous, mon frère?

SGANARELLE
Venez beau directeur*, suranné damoiseau,
On veut vous faire voir quelque chose de beau.

ARISTE
Comment?

SGANARELLE
Je vous apporte une bonne nouvelle.

ARISTE
Quoi?

SGANARELLE
Votre Léonor où, je vous prie est-elle?

ARISTE
945 Pourquoi cette demande? Elle est comme je croi,
Au bal chez son amie.

SGANARELLE
Eh, oui, oui, suivez-moi,
Vous verrez à quel bal, la donzelle est allée.

ARISTE
Que voulez-vous conter?

SGANARELLE
Vous l'avez bien stylée;
"Il n'est pas bon de vivre en sévère censeur,
950 On gagne les esprits par beaucoup de douceur;
Et les soins défiants, les verrous, et les grilles,
Ne font pas la vertu des femmes, ni des filles,
Nous les portons au mal par tant d'austérité,
Et leur sexe demande un peu de liberté*."
955 Vraiment elle en a pris tout son soûl la rusée,
Et la vertu chez elle est fort humanisée.

ARISTE
Où veut donc aboutir un pareil entretien?

SGANARELLE
Allez mon frère aîné cela vous sied fort bien,
Et je ne voudrais pas pour vingt bonnes pistoles,
960 Que vous n'eussiez ce fruit de vos maximes folles.
On voit ce qu'en deux sœurs nos leçons ont produit,
L'une fuit ce galant, et l'autre le poursuit*.

ARISTE
Si vous ne me rendez cette énigme plus claire...

SGANARELLE
L'énigme est que son bal est chez Monsieur Valère.
965 Que de nuit je l'ai vue y conduire ses pas,
Et qu'à l'heure présente elle est entre ses bras.

ARISTE
Qui?

SGANARELLE
Léonor.

ARISTE
Cessons de railler, je vous prie.

SGANARELLE
Je raille, il est fort bon avec sa raillerie;
Pauvre esprit, je vous dis, et vous redis encor,
970 Que Valère chez lui tient votre Léonor,
Et qu'ils s'étaient promis une foi mutuelle,
Avant qu'il eût songé de poursuivre Isabelle.

ARISTE
Ce discours d'apparence est si fort dépourvu...

SGANARELLE
Il ne le croira pas encore en l'ayant vu:
975 J'enrage, par ma foi, l'âge ne sert de guère
Quand on n'a pas cela.

ARISTE
Quoi vous voulez, mon frère*...

SGANARELLE
Mon Dieu je ne veux rien, suivez-moi seulement,
Votre esprit tout à l'heure aura contentement,
Vous verrez si j'impose*, et si leur foi donnée,
980 N'avait pas joint leurs cœurs depuis plus d'une année.

ARISTE
L'apparence* qu'ainsi sans m'en faire avertir,
À cet engagement elle eût pu consentir,
Moi qui dans toute chose ai depuis son enfance,
Montré toujours pour elle entière complaisance,
985 Et qui cent fois ai fait des protestations,
De ne jamais gêner ses inclinations.

SGANARELLE
Enfin vos propres yeux jugeront de l'affaire,
J'ai fait venir déjà commissaire et notaire,
Nous avons intérêt que l'hymen prétendu*
990 Répare sur-le-champ l'honneur qu'elle a perdu;
Car je ne pense pas que vous soyez si lâche,
De vouloir l'épouser avecque cette tache;
Si vous n'avez encor quelques raisonnements
Pour vous mettre au-dessus de tous les bernement*s.

ARISTE
995 Moi je n'aurai jamais cette faiblesse extrême,
De vouloir posséder un cœur malgré lui-même;
Mais je ne saurais croire enfin...

SGANARELLE
Que de discours!
Allons ce procès-là continuerait toujours.

SCÈNE VI


LE COMMISSAIRE, LE NOTAIRE, SGANARELLE, ARISTE.


LE COMMISSAIRE
Il ne faut mettre ici nulle force en usage,
1000 Messieurs, et si vos vœux ne vont qu'au mariage,
Vos transports* en ce lieu se peuvent apaiser,
Tous deux également tendent à s'épouser,
Et Valère déjà sur ce qui vous regarde,
A signé que pour femme il tient celle qu'il garde.

ARISTE
La fille...

LE COMMISSAIRE
1005 Est renfermée et ne veut point sortir,
Que vos désirs aux leurs ne veuillent consentir.