L'École des maris » Acte 2 » SCÈNE IX
ISABELLE, SGANARELLE, VALÈRE. ISABELLE Quoi vous me l'amenez! quel est votre dessein!Prenez-vous contre moi ses intérêts en main, 715 Et voulez-vous charmé de ses rares mérites,M'obliger à l'aimer, et souffrir ses visites? SGANARELLE Non mamie, et ton cœur pour cela m'est trop cher;Mais il prend mes avis pour des contes en l'air,Croit que c'est moi qui parle, et te fais par adresse, 720 Pleine pour lui de haine, et pour moi de tendresse,Et par toi-même enfin j'ai voulu sans retour,Le tirer d'une erreur qui nourrit son amour. ISABELLE Quoi mon âme à vos yeux ne se montre pas toute,Et de mes vœux encor vous pouvez être en doute? VALÈRE 725 Oui tout ce que Monsieur, de votre part m'a dit,Madame, a bien pouvoir de surprendre un esprit,J'ai douté, je l'avoue, et cet arrêt suprême,Qui décide du sort de mon amour extrême,Doit m'être assez touchant pour ne pas s'offenser, 730 Que mon cœur par deux fois le fasse prononcer. ISABELLE Non non, un tel arrêt ne doit pas vous surprendre,Ce sont mes sentiments qu'il vous a fait entendre,Et je les tiens fondés sur assez d'équité,Pour en faire éclater toute la vérité; 735 Oui je veux bien qu'on sache, et j'en dois être crue,Que le sort offre ici deux objets à ma vue,Qui m'inspirant pour eux différents sentiments,De mon cœur agité font tous les mouvements.L'un par un juste choix où l'honneur m'intéresse, 740 A toute mon estime et toute ma tendresse;Et l'autre pour le prix de son affection,A toute ma colère et mon aversion:La présence de l'un m'est agréable et chère,J'en reçois dans mon âme une allégresse entière, 745 Et l'autre par sa vue inspire dans mon cœurDe secrets mouvements, et de haine et d'horreur.Me voir femme de l'un est toute mon envie,Et plutôt qu'être à l'autre, on m'ôterait la vie;Mais c'est assez montrer mes justes sentiments, 750 Et trop longtemps languir dans ces rudes tourments:Il faut que ce que j'aime usant de diligence,Fasse à ce que je hais perdre toute espérance,Et qu'un heureux hymen* affranchisse mon sort,D'un supplice pour moi plus affreux que la mort. SGANARELLE 755 Oui mignonne je songe à remplir ton attente. ISABELLE C'est l'unique moyen de me rendre contente. SGANARELLE Tu la* seras dans peu. ISABELLE Je sais qu'il est honteux Aux filles d'exprimer si librement leurs vœux. SGANARELLE Point, point. ISABELLE Mais en l'état où sont mes destinées, 760 De telles libertés doivent m'être données,Et je puis sans rougir faire un aveu si doux,À celui que déjà je regarde en époux. SGANARELLE Oui ma pauvre fanfan, pouponne de mon âme. ISABELLE Qu'il songe donc, de grâce, à me prouver sa flamme. SGANARELLE Oui, tiens baise ma main. ISABELLE 765 Que sans plus de soupirs, Il conclue un hymen* qui fait tous mes désirs,Et reçoive en ce lieu, la foi que je lui donne,De n'écouter jamais les vœux d'autre personne*. SGANARELLE Hai, Hai, mon petit nez, pauvre petit bouchon; 770 Tu ne languiras pas longtemps, je t'en réponds,Va chut. Vous le voyez je ne lui fais pas dire,Ce n'est qu'après moi seul que son âme respire. VALÈRE Eh bien, Madame, eh bien, c'est s'expliquer assez,Je vois par ce discours de quoi vous me pressez, 775 Et je saurai dans peu vous ôter la présenceDe celui qui vous fait si grande violence. ISABELLE Vous ne me sauriez faire un plus charmant plaisir;Car enfin cette vue est fâcheuse à souffrir,Elle m'est odieuse et l'horreur est si forte... SGANARELLE Eh, eh? ISABELLE 780 Vous offensé-je, en parlant de la sorte; Fais-je... SGANARELLE Mon Dieu, nenni, je ne dis pas cela; Mais je plains sans mentir l'état où le voilà,Et c'est trop hautement que ta haine se montre. ISABELLE Je n'en puis trop montrer en pareille rencontre. VALÈRE 785 Oui, vous serez contente, et dans trois jours vos yeux,Ne verront plus l'objet qui vous est odieux. ISABELLE À la bonne heure; adieu. SGANARELLE Je plains votre infortune, Mais... VALÈRE Non vous n'entendrez de mon cœur plainte aucune, Madame, assurément rend justice à tous deux; 790 Et je vais travailler à contenter ses vœux.Adieu. SGANARELLE Pauvre garçon, sa douleur est extrême; Tenez embrassez-moi, c'est un autre elle-même*.
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