Les Fâcheux » Acte 1 » SCÈNE III
LYSANDRE, ÉRASTE. LYSANDRE Sous ces arbres, de loin, mes yeux t'ont reconnu,Cher Marquis, et d'abord je suis à toi venu.Comme à de mes amis il faut que je te chante 180 Certain air, que j'ai fait, de petite courante*,Qui de toute la cour contente les experts,Et sur qui plus de vingt ont déjà fait des vers.J'ai le bien, la naissance, et quelque emploi passable,Et fais figure en France assez considérable; 185 Mais je ne voudrais pas, pour tout ce que je suis,N'avoir point fait cet air, qu'ici je te produis.La, la, hem, hem: écoute avec soin, je te prie.Il chante sa courante. N'est-elle pas belle? ÉRASTE Ah! LYSANDRE Cette fin est jolie.Il rechante la fin quatre ou cinq fois de suite. Comment la trouves-tu? ÉRASTE Fort belle assurément. LYSANDRE 190 Les pas que j'en ai faits n'ont pas moins d'agrément,Et surtout la figure a merveilleuse grâce.Il chante, parle et danse tout ensemble,et fait faire à Éraste les figures de la femme. Tiens, l'homme passe ainsi: puis la femme repasse:Ensemble: puis on quitte, et la femme vient là.Vois-tu ce petit trait de feinte* que voilà? 195 Ce fleuret*? ces coupés* courant après la belle?Dos à dos: face à face, en se pressant sur elle.Après avoir achevé. Que t'en semble Marquis? ÉRASTE Tous ces pas-là sont fins. LYSANDRE Je me moque, pour moi, des maîtres baladins*. ÉRASTE On le voit. LYSANDRE Les pas donc...? ÉRASTE N'ont rien qui ne surprenne. LYSANDRE 200 Veux-tu, par amitié, que je te les apprenne? ÉRASTE Ma foi, pour le présent, j'ai certain embarras... LYSANDRE Eh bien donc, ce sera, lorsque tu le voudras.Si j'avais dessus moi ces paroles nouvelles,Nous les lirions ensemble, et verrions les plus belles. ÉRASTE Une autre fois. LYSANDRE 205 Adieu: Baptiste le très cher* N'a point vu ma courante, et je le vais chercher.Nous avons, pour les airs, de grandes sympathies,Et je veux le prier d'y faire des parties.Il s'en va chantant toujours. ÉRASTE Ciel! faut-il que le rang, dont on veut tout couvrir, 210 De cent sots, tous les jours, nous oblige à souffrir;Et nous fasse abaisser jusques aux complaisances,D'applaudir bien souvent à leurs impertinences?
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