Sganarelle ou le cocu imaginaire » Acte 1 » SCÈNE VI
SGANARELLE ET SA FEMME. SGANARELLE On la croyait morte et ce n'était rien, Il n'en faut plus qu'autant*, elle se porte bien.Mais j'aperçois ma femme. SA FEMME 145 Ô Ciel! c'est miniature, Et voilà d'un bel homme une vive peinture. SGANARELLE, à part, et regardant sur l'épaule de sa femme. Que considère-t-elle avec attention,Ce portrait mon honneur* ne nous dit rien de bon,D'un fort vilain soupçon je me sens l'âme émue. SA FEMME, sans l'apercevoir, continue. 150 Jamais rien de plus beau ne s'offrit à ma vue.Le travail plus que l'or s'en doit encor priser.Hon que cela sent bon. SGANARELLE, à part. Quoi peste le baiser. Ah! j'en tiens. SA FEMME poursuit. Avouons qu'on doit être ravie Quand d'un homme ainsi fait on se peut voir servie, 155 Et que s'il en contait avec attention,Le penchant serait grand à la tentation.Ah! que n'ai-je un mari d'une aussi bonne mine,Au lieu de mon pelé, de mon rustre... SGANARELLE, lui arrachant le portrait. Ah! mâtine, Nous vous y surprenons en faute contre nous, 160 Et diffamant l'honneur de votre cher époux:Donc à votre calcul, ô ma trop digne femme!Monsieur, tout bien compté, ne vaut pas bien Madame,Et de par Belzébut qui vous puisse emporterQuel plus rare parti pourriez-vous souhaiter: 165 Peut-on trouver* en moi quelque chose à redire,Cette taille, ce port, que tout le monde admire,Ce visage si propre à donner de l'amour,Pour qui mille beautés soupirent nuit et jour;Bref en tout et partout ma personne charmante, 170 N'est donc pas un morceau dont vous soyez contente:Et pour rassasier votre appétit gourmand,Il faut à son mari le ragoût d'un galant*? SA FEMME J'entends à demi-mot où va la raillerie,Tu crois par ce moyen... SGANARELLE À d'autres je vous prie, 175 La chose est avérée, et je tiens dans mes mainsUn bon certificat du mal dont je me plains. SA FEMME Mon courroux n'a déjà que trop de violence,Sans le charger encor d'une nouvelle offense;Écoute, ne crois pas retenir mon bijou,Et songe un peu... SGANARELLE 180 Je songe à te rompre le cou. Que ne puis-je, aussi bien que je tiens la copieTenir l'original! SA FEMME Pourquoi? SGANARELLE Pour rien mamie, Doux objet de mes vœux j'ai grand tort de crier,Et mon front de vos dons vous doit remercier.(Regardant le portrait de Lélie.) 185 Le voilà le beau-fils, le mignon de couchette,Le malheureux tison de ta flamme secrète,Le drôle avec lequel... SA FEMME Avec lequel, poursuis? SGANARELLE Avec lequel te dis-je... et j'en crève d'ennuis. SA FEMME Que me veut donc par là conter ce maître ivrogne*? SGANARELLE 190 Tu ne m'entends que trop, Madame la carogne;Sganarelle, est un nom qu'on ne me dira plus,Et l'on va m'appeler seigneur Cornelius:J'en suis pour mon honneur; mais à toi qui me l'ôtes,Je t'en ferai du moins pour un bras ou deux côtes*. SA FEMME 195 Et tu m'oses tenir de semblables discours. SGANARELLE Et tu m'oses jouer de ces diables de tours. SA FEMME Et quels diables de tours, parle donc sans rien feindre*? SGANARELLE Ah! cela ne vaut pas la peine de se plaindre,D'un panache de cerf sur le front me pourvoir, 200 Hélas! voilà vraiment un beau venez-y-voir*. SA FEMME Donc après m'avoir fait la plus sensible offenseQui puisse d'une femme exciter la vengeance,Tu prends d'un feint courroux le vain amusement*Pour prévenir l'effet de mon ressentiment: 205 D'un pareil procédé l'insolence est nouvelle,Celui qui fait l'offense est celui qui querelle. SGANARELLE Eh! la bonne effrontée, à voir ce fier maintienNe la croirait-on pas une femme de bien. SA FEMME Va, poursuis ton chemin, cajole tes maîtresses*, 210 Adresse-leur tes vœux et fais-leur des caresses;Mais rends-moi mon portrait sans te jouer de moi.Elle lui arrache le portrait et s'enfuit. SGANARELLE courant après elle. Oui, tu crois m'échapper, je l'aurai malgré toi.
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