Amphitryon » Acte 3 » SCÈNE VI
MERCURE, SOSIE. MERCURE Arrête. Quoi! tu viens ici mettre ton nez,Impudent fleureur* de cuisine? SOSIE Ah! de grâce, tout doux! MERCURE Ah! vous y retournez! Je vous ajusterai l'échine. SOSIE 1750 Hélas! brave, et généreux moi,Modère-toi, je t'en supplie.Sosie, épargne un peu Sosie;Et ne te plais point tant à frapper dessus toi. MERCURE Qui de t'appeler de ce nom, 1755 A pu te donner la licence?Ne t'en ai-je pas fait une expresse défense,Sous peine d'essuyer mille coups de bâton? SOSIE C'est un nom, que tous deux nous pouvons à la foisPosséder sous un même maître. 1760 Pour Sosie, en tous lieux, on sait me reconnaître:Je souffre bien que tu le sois;Souffre aussi, que je le puisse être.Laissons aux deux Amphitryons,Faire éclater des jalousies; 1765 Et parmi leurs contentions,Faisons en bonne paix, vivre les deux Sosies. MERCURE Non, c'est assez d'un seul; et je suis obstiné,À ne point souffrir de partage. SOSIE Du pas devant, sur moi, tu prendras l'avantage. 1770 Je serai le cadet, et tu seras l'aîné. MERCURE Non, un frère incommode, et n'est pas de mon goût;Et je veux être fils unique. SOSIE Ô cœur barbare et tyrannique!Souffre qu'au moins je sois ton ombre. MERCURE Point du tout. SOSIE 1775 Que d'un peu de pitié ton âme s'humanise.En cette qualité souffre-moi près de toi.Je te serai partout une ombre si soumise,Que tu seras content de moi. MERCURE Point de quartier: immuable est la loi. 1780 Si d'entrer là-dedans, tu prends encor l'audace,Mille coups en seront le fruit. SOSIE Las! à quelle étrange disgrâce,Pauvre Sosie, es-tu réduit? MERCURE Quoi! ta bouche se licencie, 1785 À te donner encore un nom, que je défends? SOSIE Non, ce n'est pas moi que j'entends;Et je parle d'un vieux Sosie,Qui fut jadis de mes parents;Qu'avec très grande barbarie, 1790 À l'heure du dîner, l'on chassa de céans. MERCURE Prends garde de tomber dans cette frénésie;Si tu veux demeurer au nombre des vivants. SOSIE Que je te rosserais, si j'avais du courage,Double fils de putain, de trop d'orgueil enflé! MERCURE Que dis-tu? SOSIE Rien. MERCURE 1795 Tu tiens, je crois, quelque langage. SOSIE Demandez, je n'ai pas soufflé. MERCURE Certain mot de fils de putain,A pourtant frappé mon oreille:Il n'est rien de plus certain. SOSIE 1800 C'est donc un perroquet, que le beau temps réveille. MERCURE Adieu. Lorsque le dos pourra te démanger,Voilà l'endroit, où je demeure. SOSIE Ô Ciel! que l'heure de manger,Pour être mis dehors, est une maudite heure! 1805 Allons, cédons au sort dans notre affliction,Suivons-en aujourd'hui l'aveugle fantaisie;Et par une juste union,Joignons le malheureux Sosie,Au malheureux Amphitryon. 1810 Je l'aperçois venir en bonne compagnie.
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