L'École des femmes » Acte 5 » SCÈNE II
HORACE, ARNOLPHE. HORACE Il faut que j'aille un peu reconnaître qui c'est. ARNOLPHE Eût-on jamais prévu... Qui va là? s'il vous plaît. HORACE C'est vous, Seigneur Arnolphe? ARNOLPHE Oui; mais vous... HORACE C'est Horace. Je m'en allais chez vous, vous prier d'une grâce,Vous sortez bien matin! ARNOLPHE, bas 1370 Quelle confusion! Est-ce un enchantement? est-ce une illusion? HORACE J'étais, à dire vrai, dans une grande peine;Et je bénis du Ciel la bonté souveraine,Qui fait qu'à point nommé je vous rencontre ainsi. 1375 Je viens vous avertir que tout a réussi,Et même beaucoup plus que je n'eusse osé dire;Et par un incident qui devait* tout détruire.Je ne sais point par où l'on a pu soupçonnerCette assignation qu'on m'avait su donner: 1380 Mais étant sur le point d'atteindre à la fenêtreJ'ai, contre mon espoir, vu quelques gens paraître,Qui sur moi brusquement levant chacun le brasM'ont fait manquer le pied et tomber jusqu'en bas;Et ma chute aux dépens de quelque meurtrissure, 1385 De vingt coups de bâton m'a sauvé l'aventure.Ces gens-là, dont était je pense mon jaloux,Ont imputé ma chute à l'effort de leurs coups,Et comme la douleur un assez long espaceM'a fait sans remuer demeurer sur la place, 1390 Ils ont cru tout de bon qu'ils m'avaient assommé,Et chacun d'eux s'en est aussitôt alarmé.J'entendais tout leur bruit dans le profond silence*,L'un l'autre ils s'accusaient de cette violence,Et sans lumière aucune en querellant le sort, 1395 Sont venus doucement tâter si j'étais mort.Je vous laisse à penser si dans la nuit obscure,J'ai d'un vrai trépassé su tenir la figure.Ils se sont retirés avec beaucoup d'effroi;Et comme je songeais à me retirer moi, 1400 De cette feinte mort la jeune Agnès émue,Avec empressement est devers moi venue:Car les discours qu'entre eux ces gens avaient tenus,Jusques à son oreille étaient d'abord* venus,Et pendant tout ce trouble étant moins observée, 1405 Du logis aisément elle s'était sauvée.Mais me trouvant sans mal elle a fait éclaterUn transport difficile à bien représenter.Que vous dirai-je? enfin cette aimable personneA suivi les conseils que son amour lui donne, 1410 N'a plus voulu songer à retourner chez soi,Et de tout son destin s'est commise à ma foi.Considérez un peu par ce trait d'innocenceOù l'expose d'un fou la haute impertinence;Et quels fâcheux périls elle pourrait courir, 1415 Si j'étais maintenant homme à la moins chérir?Mais d'un trop pur amour mon âme est embrasée,J'aimerais mieux mourir que l'avoir abusée.Je lui vois des appas dignes d'un autre sort,Et rien ne m'en saurait séparer que la mort. 1420 Je prévois là-dessus l'emportement d'un père:Mais nous prendrons le temps d'apaiser sa colère.À des charmes si doux je me laisse emporter,Et dans la vie, enfin, il se faut contenter.Ce que je veux de vous sous un secret fidèle, 1425 C'est que je puisse mettre en vos mains cette belle,Que dans votre maison, en faveur de mes feux,Vous lui donniez retraite au moins un jour ou deux.Outre qu'aux yeux du monde il faut cacher sa fuite,Et qu'on en pourra faire une exacte poursuite*, 1430 Vous savez qu'une fille aussi de sa façonDonne avec un jeune homme un étrange soupçon.Et comme c'est à vous, sûr de votre prudenceQue j'ai fait de mes feux entière confidence;C'est à vous seul aussi comme ami généreux 1435 Que je puis confier ce dépôt amoureux. ARNOLPHE Je suis, n'en doutez point, tout à votre service. HORACE Vous voulez bien me rendre un si charmant office? ARNOLPHE Très volontiers, vous dis-je, et je me sens ravirDe cette occasion que j'ai de vous servir. 1440 Je rends grâces au Ciel de ce qu'il me l'envoie,Et n'ai jamais rien fait avec si grande joie. HORACE Que je suis redevable à toutes vos bontés!J'avais de votre part craint des difficultés:Mais vous êtes du monde, et dans votre sagesse 1445 Vous savez excuser le feu de la jeunesse,Un de mes gens la garde au coin de ce détour*. ARNOLPHE Mais comment ferons-nous? car il fait un peu jour;Si je la prends ici, l'on me verra, peut-être,Et s'il faut que chez moi vous veniez à paraître, 1450 Des valets causeront. Pour jouer au plus sûr,Il faut me l'amener dans un lieu plus obscur,Mon allée* est commode, et je l'y vais attendre. HORACE Ce sont précautions qu'il est fort bon de prendre.Pour moi je ne ferai que vous la mettre en main, 1455 Et chez moi sans éclat je retourne soudain. ARNOLPHE,seul. Ah fortune! ce trait d'aventure propice,Répare tous les maux que m'a faits ton caprice.
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