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Actes de l'oeuvre
Amphitryon :

¤Acte 1
¤Acte 2
ºSCÈNE PREMIÈRE
ºSCÈNE II
ºSCÈNE III
ºSCÈNE IV
ºSCÈNE V
ºSCÈNE VI
ºSCÈNE VII
¤Acte 3
 
 

 

Amphitryon » Acte 2 » SCÈNE II

ALCMÈNE, CLÉANTHIS, AMPHITRYON, SOSIE.


ALCMÈNE
Allons pour mon époux, Cléanthis, vers les Dieux,
Nous acquitter de nos hommages;
Et les remercier des succès glorieux,
850 Dont Thèbes, par son bras, goûte les avantages.
Ô Dieux!

AMPHITRYON
Fasse le Ciel, qu'Amphitryon vainqueur,
Avec plaisir soit revu de sa femme;
Et que ce jour favorable à ma flamme,
Vous redonne à mes yeux, avec le même cœur:
855 Que j'y retrouve autant d'ardeur,
Que vous en rapporte mon âme.

ALCMÈNE
Quoi! de retour si tôt?

AMPHITRYON
Certes, c'est en ce jour,
Me donner de vos feux, un mauvais témoignage;
Et ce Quoi? si tôt de retour,
860 En ces occasions, n'est guère le langage
D'un cœur bien enflammé d'amour.
J'osais me flatter en moi-même,
Que loin de vous j'aurais trop demeuré.
L'attente d'un retour ardemment désiré,
865 Donne à tous les instants une longueur extrême;
Et l'absence de ce qu'on aime,
Quelque peu qu'elle dure, a toujours trop duré.

ALCMÈNE
Je ne vois...

AMPHITRYON
Non, Alcmène, à son impatience,
On mesure le temps en de pareils états;
870 Et vous comptez les moments de l'absence,
En personne qui n'aime pas.
Lorsque l'on aime comme il faut,
Le moindre éloignement nous tue;
Et ce dont on chérit la vue,
875 Ne revient jamais assez tôt.
De votre accueil, je le confesse,
Se plaint ici mon amoureuse ardeur;
Et j'attendais de votre cœur,
D'autres transports de joie, et de tendresse.

ALCMÈNE
880 J'ai peine à comprendre sur quoi
Vous fondez les discours que je vous entends faire;
Et si vous vous plaignez de moi,
Je ne sais pas, de bonne foi,
Ce qu'il faut, pour vous satisfaire.
885 Hier au soir, ce me semble, à votre heureux retour,
On me vit témoigner une joie assez tendre;
Et rendre aux soins de votre amour,
Tout ce que de mon cœur, vous aviez lieu d'attendre.

AMPHITRYON
Comment?

ALCMÈNE
Ne fis-je pas éclater à vos yeux,
890 Les soudains mouvements d'une entière allégresse?
Et le transport d'un cœur peut-il s'expliquer mieux,
Au retour d'un époux, qu'on aime avec tendresse?

AMPHITRYON
Que me dites-vous là?

ALCMÈNE
Que même votre amour
Montra, de mon accueil, une joie incroyable:
895 Et que m'ayant quittée à la pointe du jour,
Je ne vois pas qu'à ce soudain retour,
Ma surprise soit si coupable.

AMPHITRYON
Est-ce que du retour, que j'ai précipité,
Un songe, cette nuit, Alcmène, dans votre âme,
900 A prévenu la vérité?
Et que m'ayant, peut-être, en dormant, bien traité,
Votre cœur se croit, vers ma flamme,
Assez amplement acquitté?

ALCMÈNE
Est-ce qu'une vapeur, par sa malignité,
905 Amphitryon, a dans votre âme,
Du retour d'hier au soir, brouillé la vérité?
Et que du doux accueil duquel je m'acquittai,
Votre cœur prétend à ma flamme,
Ravir toute l'honnêteté?

AMPHITRYON
910 Cette vapeur, dont vous me régalez*,
Est un peu, ce me semble, étrange.

ALCMÈNE
C'est ce qu'on peut donner pour change,
Au songe dont vous me parlez.

AMPHITRYON
À moins d'un songe, on ne peut pas, sans doute,
915 Excuser ce qu'ici, votre bouche me dit.

ALCMÈNE
À moins d'une vapeur, qui vous trouble l'esprit,
On ne peut pas sauver*, ce que de vous j'écoute.

AMPHITRYON
Laissons un peu cette vapeur, Alcmène.

ALCMÈNE
Laissons un peu ce songe, Amphitryon.

AMPHITRYON
920 Sur le sujet dont il est question,
Il n'est guère de jeu, que trop loin on ne mène.

ALCMÈNE
Sans doute; et pour marque certaine,
Je commence à sentir un peu d'émotion.

AMPHITRYON
Est-ce donc que par là, vous voulez essayer,
925 À réparer l'accueil dont je vous ai fait plainte?

ALCMÈNE
Est-ce donc que par cette feinte,
Vous désirez vous égayer?

AMPHITRYON
Ah! de grâce, cessons, Alcmène, je vous prie;
Et parlons sérieusement.

ALCMÈNE
930 Amphitryon, c'est trop pousser l'amusement;
Finissons cette raillerie.

AMPHITRYON
Quoi! vous osez me soutenir en face,
Que plus tôt qu'à cette heure, on m'ait ici pu voir?

ALCMÈNE
Quoi! vous voulez nier avec audace,
935 Que dès hier, en ces lieux, vous vîntes sur le soir?

AMPHITRYON
Moi, je vins hier?

ALCMÈNE
Sans doute. Et dès devant l'aurore,
Vous vous en êtes retourné.

AMPHITRYON
Ciel! un pareil débat s'est-il pu voir encore!
Et qui, de tout ceci, ne serait étonné?
Sosie?

SOSIE
940 Elle a besoin de six grains d'ellébore*,
Monsieur, son esprit est tourné*!

AMPHITRYON
Alcmène, au nom de tous les Dieux,
Ce discours a d'étranges suites,
Reprenez vos sens un peu mieux;
945 Et pensez à ce que vous dites.

ALCMÈNE
J'y pense mûrement aussi,
Et tous ceux du logis ont vu votre arrivée.
J'ignore quel motif vous fait agir ainsi:
Mais si la chose avait besoin d'être prouvée;
950 S'il était vrai qu'on pût ne s'en souvenir pas;
De qui puis-je tenir, que de vous, la nouvelle
Du dernier de tous vos combats?
Et les cinq diamants que portait Ptérélas,
Qu'a fait, dans la nuit éternelle,
955 Tomber l'effort de votre bras?
En pourrait-on vouloir un plus sûr témoignage?

AMPHITRYON
Quoi! je vous ai déjà donné
Le nœud de diamants que j'eus pour mon partage,
Et que je vous ai destiné?

ALCMÈNE
960 Assurément. Il n'est pas difficile
De vous en bien convaincre.

AMPHITRYON
Et comment?

ALCMÈNE
Le voici.

AMPHITRYON
Sosie!

SOSIE
Elle se moque, et je le tiens ici;
Monsieur, la feinte est inutile.

AMPHITRYON
Le cachet est entier.

ALCMÈNE
Est-ce une vision?
965 Tenez. Trouverez-vous cette preuve assez forte?

AMPHITRYON
Ah Ciel! ô juste Ciel!

ALCMÈNE
Allez, Amphitryon,
Vous vous moquez, d'en user de la sorte;
Et vous en devriez avoir confusion.

AMPHITRYON
Romps vite ce cachet.

SOSIE, ayant ouvert le coffret.
Ma foi, la place est vide.
970 Il faut que par magie on ait su le tirer:
Ou bien que de lui-même, il soit venu sans guide,
Vers celle qu'il a su qu'on en voulait parer.

AMPHITRYON
Ô Dieux, dont le pouvoir sur les choses préside,
Quelle est cette aventure! et qu'en puis-je augurer,
975 Dont mon amour ne s'intimide!

SOSIE
Si sa bouche dit vrai, nous avons même sort;
Et de même que moi, Monsieur, vous êtes double.

AMPHITRYON
Tais-toi.

ALCMÈNE
Sur quoi vous étonner si fort?
Et d'où peut naître ce grand trouble!

AMPHITRYON
980 Ô Ciel! quel étrange embarras!
Je vois des incidents qui passent la nature;
Et mon honneur redoute une aventure,
Que mon esprit ne comprend pas!

ALCMÈNE
Songez-vous, en tenant cette preuve sensible,
985 À me nier encor votre retour pressé?

AMPHITRYON
Non; mais à ce retour, daignez, s'il est possible,
Me conter ce qui s'est passé.

ALCMÈNE
Puisque vous demandez un récit de la chose,
Vous voulez dire donc que ce n'était pas vous?

AMPHITRYON
990 Pardonnez-moi; mais j'ai certaine cause,
Qui me fait demander ce récit entre nous.

ALCMÈNE
Les soucis importants, qui vous peuvent saisir,
Vous ont-ils fait si vite en perdre la mémoire?

AMPHITRYON
Peut-être; mais enfin, vous me ferez plaisir
995 De m'en dire toute l'histoire.

ALCMÈNE
L'histoire n'est pas longue. À vous je m'avançai,
Pleine d'une aimable surprise:
Tendrement je vous embrassai;
Et témoignai ma joie, à plus d'une reprise.

AMPHITRYON, en soi-même.
1000 Ah! d'un si doux accueil je me serais passé.

ALCMÈNE
Vous me fîtes d'abord ce présent d'importance,
Que du butin conquis vous m'aviez destiné.
Votre cœur, avec véhémence,
M'étala de ses feux toute la violence,
1005 Et les soins importuns qui l'avaient enchaîné;
L'aise de me revoir; les tourments de l'absence;
Tout le souci, que son impatience,
Pour le retour, s'était donné.
Et jamais votre amour, en pareille occurrence,
1010 Ne me parut si tendre, et si passionné.

AMPHITRYON, en soi-même.
Peut-on plus vivement se voir assassiné!

ALCMÈNE
Tous ces transports*, toute cette tendresse,
Comme vous croyez bien, ne me déplaisaient pas:
Et s'il faut que je le confesse,
1015 Mon cœur, Amphitryon, y trouvait mille appas.

AMPHITRYON
Ensuite, s'il vous plaît.

ALCMÈNE
Nous nous entrecoupâmes
De mille questions, qui pouvaient nous toucher.
On servit. Tête à tête, ensemble nous soupâmes;
Et le souper fini, nous nous fûmes coucher.

AMPHITRYON
Ensemble?

ALCMÈNE
1020 Assurément. Quelle est cette demande?

AMPHITRYON
Ah! c'est ici le coup le plus cruel de tous!
Et dont à s'assurer, tremblait mon feu jaloux!

ALCMÈNE
D'où vous vient, à ce mot, une rougeur si grande?
Ai-je fait quelque mal, de coucher avec vous?

AMPHITRYON
1025 Non, ce n'était pas moi, pour ma douleur sensible.
Et qui dit qu'hier ici mes pas se sont portés,
Dit, de toutes les faussetés,
La fausseté la plus horrible.

ALCMÈNE
Amphitryon!

AMPHITRYON
Perfide!

ALCMÈNE
Ah! quel emportement!

AMPHITRYON
1030 Non, non, plus de douceur, et plus de déférence.
Ce revers* vient à bout de toute ma constance,
Et mon cœur ne respire, en ce fatal moment,
Et que fureur, et que vengeance.

ALCMÈNE
De qui donc vous venger? et quel manque de foi,
1035 Vous fait ici me traiter de coupable?

AMPHITRYON
Je ne sais pas: mais ce n'était pas moi;
Et c'est un désespoir, qui de tout rend capable.

ALCMÈNE
Allez, indigne époux, le fait parle de soi;
Et l'imposture est effroyable.
1040 C'est trop me pousser là-dessus;
Et d'infidélité, me voir trop condamnée.
Si vous cherchez, dans ces transports confus,
Un prétexte à briser les nœuds d'un hyménée,
Qui me tient à vous enchaînée;
1045 Tous ces détours sont superflus:
Et me voilà déterminée,
À souffrir qu'en ce jour, nos liens soient rompus.

AMPHITRYON
Après l'indigne affront que l'on me fait connaître,
C'est bien à quoi, sans doute, il faut vous préparer:
1050 C'est le moins qu'on doit voir; et les choses, peut-être,
Pourront n'en pas là demeurer.
Le déshonneur est sûr; mon malheur m'est visible,
Et mon amour en vain voudrait me l'obscurcir.
Mais le détail encor ne m'en est pas sensible;
1055 Et mon juste courroux prétend s'en éclaircir.
Votre frère déjà, peut hautement répondre
Que jusqu'à ce matin, je ne l'ai point quitté.
Je m'en vais le chercher, afin de vous confondre,
Sur ce retour, qui m'est faussement imputé.
1060 Après nous percerons jusqu'au fond d'un mystère
Jusques à présent inouï;
Et dans les mouvements d'une juste colère,
Malheur à qui m'aura trahi.

SOSIE
Monsieur...

AMPHITRYON
Ne m'accompagne pas;
1065 Et demeure ici, pour m'attendre.

CLÉANTHIS
Faut-il...

ALCMÈNE
Je ne puis rien entendre:
Laisse-moi seule, et ne suis point mes pas.