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Actes de l'oeuvre
Les Precieuses ridicules :

¤Acte I
ºSCÈNE PREMIÈRE
ºSCÈNE II
ºSCÈNE III
ºSCÈNE IV
ºSCÈNE V
ºSCÈNE VI
ºSCÈNE VII
ºSCÈNE VIII
ºSCÈNE IX
ºSCÈNE X
ºSCÈNE XI
ºSCÈNE XII
ºSCÈNE XIII
ºSCÈNE XIV
ºSCÈNE XV
ºSCÈNE XVI
ºSCÈNE XVII
 
 

 

Les Precieuses ridicules » Acte I » SCÈNE IV

MAGDELON, CATHOS, GORGIBUS.

GORGIBUS.- Il est bien nécessaire, vraiment, de faire tant de dépense pour vous graisser le museau. Dites-moi un peu ce que vous avez fait à ces messieurs, que je les vois sortir avec tant de froideur? Vous avais-je pas commandé de les recevoir comme des personnes, que je voulais vous donner pour maris?

MAGDELON.- Et quelle estime, mon père, voulez-vous que nous fassions du procédé irrégulier* de ces gens-là?

CATHOS.- Le moyen*, mon oncle, qu'une fille un peu raisonnable se pût accommoder de leur personne?

GORGIBUS.- Et qu'y trouvez-vous à redire?

MAGDELON.- La belle galanterie que la leur! Quoi débuter d'abord* par le mariage?

GORGIBUS.- Et par où veux-tu donc qu'ils débutent, par le concubinage? N'est-ce pas un procédé, dont vous avez sujet de vous louer toutes deux, aussi bien que moi? Est-il rien de plus obligeant que cela? Et ce lien sacré où ils aspirent n'est-il pas un témoignage de l'honnêteté de leurs intentions?

MAGDELON.- Ah mon père, ce que vous dites là est du dernier bourgeois. Cela me fait honte de vous ouïr parler de la sorte, et vous devriez un peu vous faire apprendre le bel air des choses.

GORGIBUS.- Je n'ai que faire, ni d'air, ni de chanson. Je te dis que le mariage est une chose sainte et sacrée, et que c'est faire en honnêtes gens que de débuter par là.

MAGDELON.- Mon Dieu, que si tout le monde vous ressemblait un roman serait bientôt fini: la belle chose, que ce serait, si d'abord Cyrus épousait Mandane, et qu'Aronce de plain-pied fût marié à Clélie*.

GORGIBUS.- Que me vient conter celle-ci.

MAGDELON.- Mon père, voilà ma cousine, qui vous dira, aussi bien que moi, que le mariage ne doit jamais arriver, qu'après les autres aventures. Il faut qu'un amant, pour être agréable, sache débiter les beaux sentiments; pousser* le doux, le tendre, et le passionné, et que sa recherche soit dans les formes. Premièrement, il doit voir au temple*, ou à la promenade, ou dans quelque cérémonie publique la personne dont il devient amoureux; ou bien être conduit fatalement chez elle, par un parent, ou un ami, et sortir de là tout rêveur et mélancolique. Il cache, un temps, sa passion à l'objet aimé, et cependant lui rend plusieurs visites, où l'on ne manque jamais de mettre sur le tapis une question galante, qui exerce les esprits de l'assemblée. Le jour de la déclaration arrive, qui se doit faire ordinairement dans une allée de quelque jardin, tandis que la compagnie s'est un peu éloignée: et cette déclaration est suivie d'un prompt courroux, qui paraît à notre rougeur, et qui pour un temps bannit l'amant de notre présence. Ensuite il trouve moyen de nous apaiser; de nous accoutumer insensiblement au discours de sa passion, et de tirer de nous cet aveu qui fait tant de peine. Après cela viennent les aventures, les rivaux qui se jettent à la traverse d'une inclination établie, les persécutions des pères, les jalousies conçues sur de fausses apparences, les plaintes, les désespoirs, les enlèvements, et ce qui s'ensuit. Voilà comme les choses se traitent dans les belles manières, et ce sont des règles, dont en bonne galanterie on ne saurait se dispenser; mais en venir de but en blanc à l'union conjugale! ne faire l'amour* qu'en faisant le contrat du mariage, et prendre justement le roman par la queue! Encore un coup mon père, il ne se peut rien de plus marchand que ce procédé, et j'ai mal au cœur de la seule vision* que cela me fait.

GORGIBUS.- Quel diable de jargon entends-je ici? Voici bien du haut style.

CATHOS.- En effet, mon oncle, ma cousine donne dans le vrai de la chose. Le moyen de bien recevoir des gens qui sont tout à fait incongrus en galanterie? Je m'en vais gager qu'ils n'ont jamais vu la Carte de Tendre*, et que billets-doux, petits-soins, billets-galants et jolis-vers, sont des terres inconnues pour eux. Ne voyez-vous pas que toute leur personne marque cela, et qu'ils n'ont point cet air qui donne d'abord bonne opinion des gens? Venir en visite amoureuse avec une jambe toute unie; un chapeau désarmé de plumes; une tête irrégulière en cheveux* et un habit qui souffre une indigence de rubans! Mon Dieu quels amants sont-ce là! quelle frugalité d'ajustement, et quelle sécheresse de conversation! On n'y dure point, on n'y tient pas. J'ai remarqué encore que leurs rabats ne sont pas de la bonne faiseuse, et qu'il s'en faut plus d'un grand demi-pied, que leurs hauts-de-chausses, ne soient assez larges.

GORGIBUS.- Je pense qu'elles sont folles toutes deux, et je ne puis rien comprendre à ce baragouin. Cathos et vous Magdelon.

MAGDELON.- Eh de grâce, mon père, défaites-vous de ces noms étranges*, et nous appelez autrement.

GORGIBUS.- Comment, ces noms étranges? Ne sont-ce pas vos noms de baptême?

MAGDELON.- Mon Dieu, que vous êtes vulgaire! Pour moi un de mes étonnements, c'est que vous ayez pu faire une fille si spirituelle* que moi. A-t-on jamais parlé dans le beau style de Cathos ni de Magdelon? et ne m'avouerez-vous pas que ce serait assez d'un de ces noms, pour décrier le plus beau roman du monde?

CATHOS.- Il est vrai, mon oncle, qu'une oreille un peu délicate pâtit furieusement à entendre prononcer ces mots-là, et le nom de Polyxène, que ma cousine a choisi, et celui d'Aminte, que je me suis donné*, ont une grâce, dont il faut que vous demeuriez d'accord.

GORGIBUS.- Écoutez; il n'y a qu'un mot qui serve. Je n'entends point que vous ayez d'autres noms, que ceux qui vous ont été donnés par vos parrains et marraines*, et pour ces Messieurs, dont il est question je connais leurs familles et leurs biens, et je veux résolûment que vous vous disposiez* à les recevoir pour maris. Je me lasse de vous avoir sur les bras, et la garde de deux filles est une charge un peu trop pesante, pour un homme de mon âge.

CATHOS.- Pour moi, mon oncle, tout ce que je vous puis dire c'est que je trouve le mariage une chose tout à fait choquante. Comment est-ce qu'on peut souffrir la pensée de coucher contre un homme vraiment nu?

MAGDELON.- Souffrez que nous prenions un peu haleine parmi le beau monde de Paris, où nous ne faisons que d'arriver. Laissez-nous faire à loisir le tissu de notre roman, et n'en pressez point tant la conclusion.

GORGIBUS.- Il n'en faut point douter, elles sont achevées. Encore un coup, je n'entends rien à toutes ces balivernes, je veux être maître absolu, et pour trancher toutes sortes de discours, ou vous serez mariées toutes deux, avant qu'il soit peu, ou, ma foi, vous serez religieuses, j'en fais un bon serment.