Le mariage forcé » Acte 1 » SCÈNE VIII
ALCANTOR, SGANARELLE.ALCANTOR.- Ah! mon gendre, soyez le bienvenu.SGANARELLE.- Monsieur, votre serviteur.ALCANTOR.- Vous venez pour conclure le mariage?SGANARELLE.- Excusez-moi.ALCANTOR.- Je vous promets que j'en ai autant d'impatience que vous.SGANARELLE.- Je viens ici pour un autre sujet*.ALCANTOR.- J'ai donné ordre à toutes les choses nécessaires pour cette fête.SGANARELLE.- Il n'est pas question de cela.ALCANTOR.- Les violons sont retenus; le festin est commandé; et ma fille est parée, pour vous recevoir.SGANARELLE.- Ce n'est pas ce qui m'amène.ALCANTOR.- Enfin vous allez être satisfait; et rien ne peut retarder votre contentement.SGANARELLE.- Mon Dieu, c'est autre chose.ALCANTOR.- Allons, entrez donc, mon gendre.SGANARELLE.- J'ai un petit mot à vous dire.ALCANTOR.- Ah! mon Dieu, ne faisons point de cérémonie: entrez vite, s'il vous plaît.SGANARELLE.- Non, vous dis-je. Je vous veux parler auparavant.ALCANTOR.- Vous voulez me dire quelque chose?SGANARELLE.- Oui.ALCANTOR.- Et quoi?SGANARELLE.- Seigneur Alcantor, j'ai demandé votre fille en mariage, il est vrai; et vous me l'avez accordée: mais je me trouve un peu avancé en âge pour elle; et je considère que je ne suis point du tout son fait.ALCANTOR.- Pardonnez-moi. Ma fille vous trouve bien, comme vous êtes; et je suis sûr qu'elle vivra fort contente avec vous.SGANARELLE.- Point; j'ai parfois des bizarreries épouvantables; et elle aurait trop à souffrir de ma mauvaise humeur.ALCANTOR.- Ma fille a de la complaisance; et vous verrez qu'elle s'accommodera entièrement à vous.SGANARELLE.- J'ai quelques infirmités sur mon corps, qui pourraient la dégoûter.ALCANTOR.- Cela n'est rien. Une honnête femme ne se dégoûte jamais de son mari.SGANARELLE.- Enfin voulez-vous que je vous dise, je ne vous conseille pas de me la donner*.ALCANTOR.- Vous moquez-vous? J'aimerais mieux mourir, que d'avoir manqué à ma parole.SGANARELLE.- Mon Dieu, je vous en dispense, et je...ALCANTOR.- Point du tout. Je vous l'ai promise; et vous l'aurez en dépit de tous ceux qui y prétendent.SGANARELLE.- Que diable!ALCANTOR.- Voyez-vous, j'ai une estime, et une amitié pour vous, toute particulière; et je refuserais ma fille à un prince, pour vous la donner.SGANARELLE.- Seigneur Alcantor, je vous suis obligé de l'honneur que vous me faites; mais je vous déclare que je ne me veux point marier.ALCANTOR.- Qui, vous?SGANARELLE.- Oui, moi.ALCANTOR.- Et la raison?SGANARELLE.- La raison; c'est que je ne me sens point propre pour le mariage; et que je veux imiter mon père, et tous ceux de ma race, qui ne se sont jamais voulu marier.ALCANTOR.- Écoutez, les volontés sont libres; et je suis homme à ne contraindre jamais personne. Vous vous êtes engagé avec moi, pour épouser ma fille; et tout est préparé pour cela. Mais puisque vous voulez retirer votre parole, je vais voir ce qu'il y a à faire; et vous aurez bientôt de mes nouvelles.SGANARELLE.- Encore est-il plus raisonnable que je ne pensais; et je croyais avoir bien plus de peine à m'en dégager. Ma foi, quand j'y songe, j'ai fait fort sagement, de me tirer de cette affaire; et j'allais faire un pas, dont je me serais peut-être longtemps repenti. Mais voici le fils qui me vient rendre réponse.
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