L'École des femmes » Acte 4 » SCÈNE PREMIÈRE
ARNOLPHE J'ai peine, je l'avoue, à demeurer en place,Et de mille soucis mon esprit s'embarrasse, 1010 Pour pouvoir mettre un ordre et dedans et dehors,Qui du godelureau rompe tous les efforts:De quel œil la traîtresse a soutenu ma vue,De tout ce qu'elle a fait elle n'est point émue.Et bien qu'elle me mette à deux doigts du trépas, 1015 On dirait à la voir qu'elle n'y touche pas.Plus en la regardant je la voyais tranquille,Plus je sentais en moi s'échauffer une bile,Et ces bouillants transports dont s'enflammait mon cœur,Y semblaient redoubler mon amoureuse ardeur. 1020 J'étais aigri, fâché, désespéré contre elle,Et cependant jamais je ne la vis si belle;Jamais ses yeux aux miens n'ont paru si perçants,Jamais je n'eus pour eux des desirs si pressants,Et je sens là dedans qu'il faudra que je crève, 1025 Si de mon triste sort la disgrâce s'achève.Quoi? j'aurai dirigé son éducationAvec tant de tendresse et de précaution?Je l'aurai fait passer chez moi dès son enfance,Et j'en aurai chéri la plus tendre espérance? 1030 Mon cœur aura bâti sur ses attraits naissans,Et cru la mitonner pour moi durant treize ans,Afin qu'un jeune fou dont elle s'amouracheMe la vienne enlever jusque sur la moustache,Lorsqu'elle est avec moi mariée à demi? 1035 Non parbleu, non parbleu, petit sot mon ami,Vous aurez beau tourner ou j'y perdrai mes peines,Ou je rendrai ma foi, vos espérances vaines,Et de moi tout à fait vous ne vous rirez point.
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