Psyché » Acte 4 » SCÈNE II
PSYCHÉ, AGLAURE, CIDIPPE. PSYCHÉ Je viens vous dire adieu, mon amant vous renvoie,Et ne saurait plus endurerQue vous lui retranchiez un moment de la joie 1355 Qu'il prend de se voir seul à me considérer.Dans un simple regard, dans la moindre parole,Son amour trouve des douceurs,Qu'en faveur du sang je lui vole,Quand je les partage à des sœurs. AGLAURE 1360 La jalousie est assez fine,Et ces délicats sentimentsMéritent bien qu'on s'imagineQue celui qui pour vous a ces empressements,Passe le commun des amants. 1365 Je vous en parle ainsi faute de le connaître.Vous ignorez son nom, et ceux dont il tient l'être,Nos esprits en sont alarmés:Je le tiens un grand prince, et d'un pouvoir suprêmeBien au-delà du diadème, 1370 Ses trésors sous vos pas confusément semésOnt de quoi faire honte à l'abondance même,Vous l'aimez autant qu'il vous aime,Il vous charme, et vous le charmez;Votre félicité, ma sœur, serait extrême, 1375 Si vous saviez qui vous aimez. PSYCHÉ Que m'importe? j'en suis aimée,Plus il me voit, plus je lui plais,Il n'est point de plaisirs dont l'âme soit charméeQui ne préviennent mes souhaits, 1380 Et je vois mal de quoi la vôtre est alarmée,Quand tout me sert dans ce palais. AGLAURE Qu'importe qu'ici tout vous serve,Si toujours cet amant vous cache ce qu'il est?Nous ne nous alarmons que pour votre intérêt. 1385 En vain tout vous y rit, en vain tout vous y plaît,Le véritable amour ne fait point de réserve,Et qui s'obstine à se cacher,Sent quelque chose en soi qu'on lui peut reprocher.Si cet amant devient volage, 1390 Car souvent en amour le change est assez doux,Et j'ose le dire entre nous,Pour grand que soit l'éclat dont brille ce visage,Il en peut être ailleurs d'aussi belles que vous.Si, dis-je, un autre objet sous d'autres lois l'engage, 1395 Si dans l'état où je vous voi,Seule en ses mains, et sans défense,Il va jusqu'à la violence,Sur qui vous vengera le RoiOu de ce changement, ou de cette insolence? PSYCHÉ 1400 Ma sœur, vous me faites trembler.Juste Ciel! pourrais-je être assez infortunée... CIDIPPE Que sait-on si déjà les nœuds de l'hyménée... PSYCHÉ N'achevez pas, ce serait m'accabler. AGLAURE Je n'ai plus qu'un mot à vous dire. 1405 Ce prince qui vous aime, et qui commande aux vents,Qui nous donne pour char les ailes du Zéphire,Et de nouveaux plaisirs vous comble à tous moments,Quand il rompt à vos yeux l'ordre de la nature,Peut-être à tant d'amour mêle un peu d'imposture, 1410 Peut-être ce palais n'est qu'un enchantement,Et ces lambris dorés, ces amas de richessesDont il achète vos tendresses,Dès qu'il sera lassé de souffrir vos caresses,Disparaîtront en un moment. 1415 Vous savez comme nous ce que peuvent les charmes. PSYCHÉ Que je sens à mon tour de cruelles alarmes! AGLAURE Notre amitié ne veut que votre bien. PSYCHÉ Adieu, mes sœurs, finissons l'entretien,J'aime et je crains qu'on ne s'impatiente. 1420 Partez, et demain si je puisVous me verrez, ou plus contente,Ou dans l'accablement des plus mortels ennuis. AGLAURE Nous allons dire au Roi quelle nouvelle gloire,Quel excès de bonheur le Ciel répand sur vous. CIDIPPE 1425 Nous allons lui conter d'un changement si douxLa surprenante et merveilleuse histoire. PSYCHÉ Ne l'inquiétez point, ma sœur, de vos soupçons,Et quand vous lui peindrez un si charmant empire... AGLAURE Nous savons toutes deux ce qu'il faut taire, ou dire, 1430 Et n'avons pas besoin sur ce point de leçons. Le Zéphire enlève les deux sœurs de Psyché dans un nuage qui descend jusqu'à terre, et dans lequel il les emporte avec rapidité.
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