Psyché » Acte 1 » PROLOGUE
La scène représente sur le devant un lieu champêtre, et dans l'enfoncement un rocher percé à jour, à travers duquel on voit la mer en éloignement.Flore paraît au milieu du théâtre, accompagnée de Vertumne dieu des arbres et des fruits, et de Palæmon dieu des eaux. Chacun de ces dieux conduit une troupe de divinités; l'un mène à sa suite des Dryades et des Sylvains; et l'autre des Dieux des fleuves et des Naïades. Flore chante ce récit pour inviter Vénus à descendre en terre: Ce n'est plus le temps de la guerre;Le plus puissant des roisInterrompt ses exploitsPour donner la paix* à la terre. 5 Descendez, mère des Amours,Venez nous donner de beaux jours. Vertumne et Palæmon, avec les divinités qui les accompagnent, joignent leurs voix à celle de Flore, et chantent ces paroles:CHŒUR des divinités de la terre et des eaux,composé de Flore, Nymphes, Palæmon, Vertumne,Sylvains, Faunes, Dryades et Naïades. Nous goûtons une paix profonde;Les plus doux jeux sont ici-bas;On doit ce repos plein d'appas 10 Au plus grand roi du monde.Descendez, mère des Amours,Venez nous donner de beaux jours. Il se fait ensuite une entrée de ballet, composée de deux Dryades, quatre Sylvains, deux Fleuves, et deux Naïades, après laquelle Vertumne et Palæmon chantent ce dialogue: VERTUMNE Rendez-vous, beautés cruelles,Soupirez à votre tour. PALÆMON 15 Voici la reine des belles,Qui vient inspirer l'amour. VERTUMNE Un bel objet toujours sévèreNe se fait jamais bien aimer. PALÆMON C'est la beauté qui commence de plaire, 20 Mais la douceur achève de charmer. Ils répètent ensemble ces derniers vers: C'est la beauté qui commence de plaire,Mais la douceur achève de charmer. VERTUMNE Souffrons tous qu'Amour nous blesse;Languissons, puisqu'il le faut. PALÆMON 25 Que sert un cœur sans tendresse?Est-il un plus grand défaut? VERTUMNE Un bel objet toujours sévèreNe se fait jamais bien aimer. PALÆMON C'est la beauté qui commence de plaire, 30 Mais la douceur achève de charmer. FLORE répond au dialogue de Vertumne et de Palaemon, par ce menuet; et les autres Divinités y mêlent leurs danses: Est-on sageDans le bel âge,Est-on sageDe n'aimer pas? 35 Que sans cesseL'on se presseDe goûter les plaisirs ici-bas:La sagesseDe la jeunesse, 40 C'est de savoir jouir de ses appas. L'Amour charmeCeux qu'il désarme;L'Amour charme,Cédons-lui tous. 45 Notre peineSerait vaineDe vouloir résister à ses coups:Quelque chaîneQu'un amant prenne, 50 La liberté n'a rien qui soit si doux. Vénus descend du ciel dans une grande machine avec l'Amour son fils, et deux petites Grâces, nommées Ægiale et Phaène: et les Divinités de la terre et des eaux recommencent de joindre toutes leurs voix, et continuent par leurs danses de lui témoigner la joie qu'elles ressentent à son abord. CHŒUR de toutes les Divinités de la terre et des eaux. Nous goûtons une paix profonde;Les plus doux jeux sont ici-bas;On doit ce repos plein d'appasAu plus grand roi du monde. 55 Descendez, mère des Amours,Venez nous donner de beaux jours*. VÉNUS, dans sa machine. Cessez, cessez pour moi tous vos chants d'allégresse:De si rares honneurs ne m'appartiennent pas,Et l'hommage qu'ici votre bonté m'adresse 60 Doit être réservé pour de plus doux appas.C'est une trop vieille méthodeDe me venir faire sa cour;Toutes les choses ont leur tour,Et Vénus n'est plus à la mode. 65 Il est d'autres attraits naissantsOù l'on va porter ses encens;Psyché, Psyché la belle, aujourd'hui tient ma place;Déjà tout l'univers s'empresse à l'adorer,Et c'est trop que dans ma disgrâce 70 Je trouve encor quelqu'un qui me daigne honorer.On ne balance point entre nos deux mérites,À quitter mon parti tout s'est licencié*,Et du nombreux amas de Grâces favorites,Dont je traînais partout les soins et l'amitié, 75 Il ne m'en est resté que deux des plus petites,Qui m'accompagnent par pitié.Souffrez que ces demeures sombresPrêtent leur solitude aux troubles de mon cœur,Et me laissez parmi leurs ombres 80 Cacher ma honte et ma douleur. Flore et les autres déités se retirent, et Vénus avec sa suite sort de sa machine. ÆGIALE Nous ne savons, Déesse, comment faire,Dans ce chagrin qu'on voit vous accabler:Notre respect veut se taire,Notre zèle veut parler. VÉNUS 85 Parlez, mais si vos soins aspirent à me plaire,Laissez tous vos conseils pour une autre saison,Et ne parlez de ma colère,Que pour dire que j'ai raison.C'était là, c'était là la plus sensible offense 90 Que ma divinité pût jamais recevoir;Mais j'en aurai la vengeance,Si les Dieux ont du pouvoir. PHAÈNE Vous avez plus que nous de clartés, de sagesse,Pour juger ce qui peut être digne de vous: 95 Mais pour moi, j'aurais cru qu'une grande DéesseDevrait moins se mettre en courroux. VÉNUS Et c'est là la raison de ce courroux extrême.Plus mon rang a d'éclat, plus l'affront est sanglant,Et si je n'étais pas dans ce degré suprême, 100 Le dépit de mon cœur serait moins violent.Moi, la fille du dieu qui lance le tonnerre*,Mère du dieu qui fait aimer;Moi, les plus doux souhaits du ciel et de la terre,Et qui ne suis venue au jour que pour charmer; 105 Moi, qui par tout ce qui respireAi vu de tant de vœux encenser mes autels,Et qui de la beauté, par des droits immortels,Ai tenu de tout temps le souverain empire;Moi, dont les yeux ont mis deux grandes déités 110 Au point de me céder le prix de la plus belle*,Je me vois ma victoire et mes droits disputésPar une chétive mortelle!Le ridicule excès d'un fol entêtementVa jusqu'à m'opposer une petite fille! 115 Sur ses traits et les miens j'essuierai constamment*Un téméraire jugement!Et du haut des cieux où je brille,J'entendrai prononcer aux mortels prévenus:"Elle est plus belle que Vénus*!" ÆGIALE 120 Voilà comme l'on fait, c'est le style des hommes,Ils sont impertinents dans leurs comparaisons. PHAÈNE Ils ne sauraient louer, dans le siècle où nous sommes,Qu'ils n'outragent les plus grands noms. VÉNUS Ah! que de ces trois mots la rigueur insolente 125 Venge bien Junon et Pallas,Et console leurs cœurs de la gloire éclatanteQue la fameuse pomme acquit à mes appas!Je les vois s'applaudir de mon inquiétude,Affecter à toute heure un ris malicieux, 130 Et, d'un fixe regard, chercher avec étudeMa confusion dans mes yeux.Leur triomphante joie, au fort d'un tel outrage,Semble me venir dire, insultant mon courroux,"Vante, vante, Vénus, les traits de ton visage, 135 Au jugement d'un seul tu l'emportas sur nous,Mais, par le jugement de tousUne simple mortelle a sur toi l'avantage."Ah! ce coup-là m'achève, il me perce le cœur,Je n'en puis plus souffrir les rigueurs sans égales, 140 Et c'est trop de surcroît à ma vive douleur,Que le plaisir de mes rivales. Mon fils, si j'eus jamais sur toi quelque crédit,Et si jamais je te fus chère,Si tu portes un cœur à sentir le dépit 145 Qui trouble le cœur d'une mère,Qui si tendrement te chérit;Emploie, emploie ici l'effort de ta puissanceÀ soutenir mes intérêts,Et fais à Psyché par tes traits 150 Sentir les traits de ma vengeance.Pour rendre son cœur malheureux,Prends celui de tes traits le plus propre à me plaire,Le plus empoisonné de ceuxQue tu lances dans ta colère.; 155 Du plus bas, du plus vil, du plus affreux mortel,Fais que jusqu'à la rage elle soit enflammée,Et qu'elle ait à souffrir le supplice cruelD'aimer, et n'être point aimée. L'AMOUR* Dans le monde on n'entend que plaintes de l'Amour, 160 On m'impute partout mille fautes commises,Et vous ne croiriez point le mal et les sottisesQue l'on dit de moi chaque jour.Si pour servir votre colère... VÉNUS Va, ne résiste point aux souhaits de ta mère, 165 N'applique tes raisonnementsQu'à chercher les plus prompts momentsDe faire un sacrifice à ma gloire outragée.Pars, pour toute réponse à mes empressements,Et ne me revois point que je ne sois vengée. L'amour s'envole, et Vénus se retire avec les Grâces. La scène est changée en une grande ville, où l'on découvre des deux côtés, des palais et des maisons de différents ordres d'architecture.
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