La Princesse d'Élide » Quatrième intermède » SCÈNE II
MORON, PHILIS, TIRCIS.MORON.- Ah! ah! je vous y prends, cruelle; vous vous écartez des autres pour ouïr mon rival?PHILIS.- Oui, je m'écarte pour cela; je te le dis encore. Je me plais avec lui, et l'on écoute volontiers les amants lorsqu'ils se plaignent aussi agréablement qu'il fait. Que ne chantes-tu comme lui? Je prendrais plaisir à t'écouter.MORON.- Si je ne sais chanter, je sais faire autre chose, et quand...PHILIS.- Tais-toi, je veux l'entendre. Dis, Tircis, ce que tu voudras.MORON.- Ah! cruelle...PHILIS.- Silence, dis-je, ou je me mettrai en colère.TIRCISArbres épais, et vous, prés émaillés,La beauté dont l'hiver vous avait dépouillésPar le printemps vous est rendue:Vous reprenez tous vos appas;Mais mon âme ne reprend pasLa joie, hélas! que j'ai perdue. MORON.- Morbleu que n'ai-je de la voix? Ah! nature marâtre! pourquoi ne m'as-tu pas donné de quoi chanter comme à un autre?PHILIS.- En vérité, Tircis, il ne se peut rien de plus agréable, et tu l'emportes sur tous les rivaux que tu as.MORON.- Mais pourquoi est-ce que je ne puis pas chanter? N'ai-je pas un estomac*, un gosier, et une langue comme un autre? Oui, oui, allons, je veux chanter aussi, et te montrer que l'amour fait faire toutes choses. Voici une chanson que j'ai faite pour toi.PHILIS.- Oui, dis? Je veux bien t'écouter pour la rareté du fait.MORON.- Courage, Moron! il n'y a qu'à avoir de la hardiesse. (Moron chante.)Ton extrême rigueurS'acharne sur mon cœur,Ah! Philis je trépasse!Daigne me secourir.En seras-tu plus grasseDe m'avoir fait mourir? Vivat, Moron.PHILIS.- Voilà qui est le mieux du monde: mais, Moron, je souhaiterais bien d'avoir la gloire, que quelque amant fût mort pour moi; c'est un avantage dont je n'ai point encore joui*, et je trouve que j'aimerais de tout mon cœur une personne qui m'aimerait assez pour se donner la mort.MORON.- Tu aimerais une personne qui se tuerait pour toi?PHILIS.- Oui.MORON.- Il ne faut que cela pour te plaire?PHILIS.- Non.MORON.- Voilà qui est fait, je te veux montrer que je me sais tuer quand je veux.TIRCIS, chante.Ah! quelle douceur extrême,De mourir pour ce qu'on aime. Bis. MORON.- C'est un plaisir que vous aurez quand vous voudrez.TIRCIS, chante.Courage, Moron! meurs promptementEn généreux amant. MORON.- Je vous prie de vous mêler de vos affaires, et de me laisser tuer à ma fantaisie. Allons je vais faire honte à tous les amants; tiens, je ne suis pas homme à faire tant de façons, vois ce poignard; prends bien garde comme je vais me percer le cœur. (Se riant de Tircis.) Je suis votre serviteur, quelque niais*.PHILIS.- Allons, Tircis. Viens-t'en me redire à l'écho*, ce que tu m'as chanté.
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