Psyché » Acte 5 » SCÈNE II
PSYCHÉ, CLÉOMÈNE, AGÉNOR. PSYCHÉ Cléomène, Agénor, est-ce vous que je voi?Qui vous a ravi la lumière? CLÉOMÈNE La plus juste douleur, qui d'un beau désespoirNous eût pu fournir la matière, 1715 Cette pompe funèbre, où du sort le plus noirVous attendiez la rigueur la plus fière,L'injustice la plus entière. AGÉNOR Sur ce même rocher, où le Ciel en courrouxVous promettait au lieu d'époux 1720 Un serpent dont soudain vous seriez dévorée,Nous tenions la main préparéeÀ repousser sa rage, ou mourir avec vous.Vous le savez, Princesse, et lorsqu'à notre vuePar le milieu des airs vous êtes disparue, 1725 Du haut de ce rocher pour suivre vos beautés,Ou plutôt pour goûter cette amoureuse joieD'offrir pour vous au monstre une première proie,D'amour et de douleur l'un et l'autre emportés,Nous nous sommes précipités. CLÉOMÈNE 1730 Heureusement déçus au sens de votre oracle,Nous en avons ici reconnu le miracle,Et su que le serpent prêt à vous dévorerÉtait le Dieu qui fait qu'on aime,Et qui tout Dieu qu'il est, vous adorant lui-même, 1735 Ne pouvait endurerQu'un mortel comme nous osât vous adorer. AGÉNOR Pour prix de vous avoir suivie,Nous jouissons ici d'un trépas assez doux:Qu'avions-nous affaire de vie, 1740 Si nous ne pouvions être à vous?Nous revoyons ici vos charmesQu'aucun des deux là-haut n'aurait revus jamais,Heureux si nous voyons la moindre de vos larmesHonorer des malheurs que vous nous avez faits. PSYCHÉ 1745 Puis-je avoir des larmes de resteAprès qu'on a porté les miens au dernier point?Unissons nos soupirs dans un sort si funeste,Les soupirs ne s'épuisent point.Mais vous soupireriez, Princes, pour une ingrate, 1750 Vous n'avez point voulu survivre à mes malheurs,Et quelque douleur qui m'abatte,Ce n'est point pour vous que je meurs. CLÉOMÈNE L'avons-nous mérité, nous dont toute la flammeN'a fait que vous lasser du récit de nos maux? PSYCHÉ 1755 Vous pouviez mériter, Princes, toute mon âme,Si vous n'eussiez été rivaux.Ces qualités incomparablesQui de l'un et de l'autre accompagnaient les vœux,Vous rendaient tous deux trop aimables, 1760 Pour mépriser aucun des deux. AGÉNOR Vous avez pu sans être injuste, ni cruelle,Nous refuser un cœur réservé pour un Dieu.Mais revoyez Vénus: le Destin nous rappelle,Et nous force à vous dire adieu. PSYCHÉ 1765 Ne vous donne-t-il point le loisir de me direQuel est ici votre séjour? CLÉOMÈNE Dans des bois toujours verts, où d'amour on respire,Aussitôt qu'on est mort d'amour.D'amour on y revit, d'amour on y soupire, 1770 Sous les plus douces lois de son heureux empire,Et l'éternelle nuit n'ose en chasser le jour,Que lui-même il attireSur nos fantômes qu'il inspire,Et dont aux Enfers même il se fait une cour. AGÉNOR 1775 Vos envieuses sœurs après nous descenduesPour vous perdre se sont perdues,Et l'une et l'autre tour à tour,Pour le prix d'un conseil qui leur coûte la vie,À côté d'Ixion, à côté de Titye, 1780 Souffre tantôt la roue, et tantôt le vautour.L'amour, par les Zéphyrs s'est fait prompte justiceDe leur envenimée et jalouse malice:Ces ministres ailés de son juste courroux,Sous couleur de les rendre encore auprès de vous, 1785 Ont plongé l'une et l'autre au fond d'un précipice,Où le spectacle affreux de leurs corps déchirésN'étale que le moindre et le premier suppliceDe ces conseils dont l'artificeFait les maux dont vous soupirez. PSYCHÉ Que je les plains! CLÉOMÈNE 1790 Vous êtes seule à plaindre. Mais nous demeurons trop à vous entretenir,Adieu, puissions-nous vivre en votre souvenir,Puissiez-vous, et bientôt, n'avoir plus rien à craindre,Puisse, et bientôt, l'Amour vous enlever aux Cieux, 1795 Vous y mettre à côté des Dieux,Et rallumant un feu qui ne se puisse éteindre,Affranchir à jamais l'éclat de vos beaux yeuxD'augmenter le jour en ces lieux.
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