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Actes de l'oeuvre
Le Misanthrope :

¤Acte 1
¤Acte 2
¤Acte 3
¤Acte 4
ºSCÈNE PREMIERE
ºSCÈNE II
ºSCÈNE III
ºSCÈNE IV
¤Acte 5
 
 

 

Le Misanthrope » Acte 4 » SCÈNE III

CÉLIMÈNE, ALCESTE.


ALCESTE
Ô Ciel! de mes transports, puis-je être, ici, le maître?

CÉLIMÈNE
Ouais, quel est, donc, le trouble, où je vous vois paraître?
Et que me veulent dire, et ces soupirs poussés,
1280 Et ces sombres regards que, sur moi, vous lancez?

ALCESTE
Que toutes les horreurs, dont une âme est capable,
À vos déloyautés, n'ont rien de comparable:
Que le sort, les démons, et le Ciel, en courroux,
N'ont, jamais, rien produit de si méchant que vous*.

CÉLIMÈNE
1285 Voilà, certainement, des douceurs que j'admire.

ALCESTE
Ah! ne plaisantez point, il n'est pas temps de rire,
Rougissez, bien plutôt, vous en avez raison*:
Et j'ai de sûrs témoins* de votre trahison.
Voilà ce que marquaient les troubles de mon âme,
1290 Ce n'était pas en vain, que s'alarmait ma flamme:
Par ces fréquents soupçons, qu'on trouvait odieux,
Je cherchais le malheur qu'ont rencontré mes yeux:
Et malgré tous vos soins, et votre adresse à feindre,
Mon astre me disait, ce que j'avais à craindre:
1295 Mais ne présumez pas que, sans être vengé,
Je souffre le dépit de me voir outragé.
Je sais que, sur les vœux, on n'a point de puissance,
Que l'amour veut, partout, naître sans dépendance;
Que jamais, par la force, on n'entra dans un cœur,
1300 Et que toute âme est libre à nommer son vainqueur.
Aussi ne trouverais-je aucun sujet de plainte,
Si, pour moi, votre bouche avait parlé sans feinte;
Et, rejetant mes vœux dès le premier abord*,
Mon cœur n'aurait eu droit de s'en prendre qu'au sort.
1305 Mais, d'un aveu trompeur, voir ma flamme applaudie,
C'est une trahison, c'est une perfidie,
Qui ne saurait trouver de trop grands châtiments:
Et je puis tout permettre à mes ressentiments.
Oui, oui, redoutez tout, après un tel outrage,
1310 Je ne suis plus à moi, je suis tout à la rage:
Percé du coup mortel dont vous m'assassinez,
Mes sens, par la raison, ne sont plus gouvernés;
Je cède aux mouvements d'une juste colère,
Et je ne réponds pas de ce que je puis faire.

CÉLIMÈNE
1315 D'où vient, donc, je vous prie, un tel emportement*?
Avez-vous, dites-moi, perdu le jugement?

ALCESTE
Oui, oui, je l'ai perdu, lorsque dans votre vue
J'ai pris, pour mon malheur, le poison qui me tue,
Et que j'ai cru trouver quelque sincérité
1320 Dans les traîtres appas dont je fus enchanté.

CÉLIMÈNE
De quelle trahison pouvez-vous, donc, vous plaindre?

ALCESTE
Ah! que ce cœur est double, et sait bien l'art de feindre!
Mais, pour le mettre à bout, j'ai des moyens tout prêts:
Jetez ici les yeux, et connaissez vos traits*;
1325 Ce billet découvert, suffit pour vous confondre,
Et, contre ce témoin, on n'a rien à répondre.

CÉLIMÈNE
Voilà, donc, le sujet qui vous trouble l'esprit?

ALCESTE
Vous ne rougissez pas, en voyant cet écrit?

CÉLIMÈNE
Et par quelle raison faut-il que j'en rougisse?

ALCESTE
1330 Quoi! vous joignez, ici, l'audace, à l'artifice?
Le désavouerez-vous, pour n'avoir point de seing*?

CÉLIMÈNE
Pourquoi désavouer un billet de ma main?

ALCESTE
Et vous pouvez le voir, sans demeurer confuse
Du crime dont, vers moi, son style vous accuse?

CÉLIMÈNE
1335 Vous êtes, sans mentir, un grand extravagant.

ALCESTE
Quoi! vous bravez, ainsi, ce témoin convaincant?
Et ce qu'il m'a fait voir de douceur pour Oronte,
N'a, donc, rien qui m'outrage, et qui vous fasse honte?

CÉLIMÈNE
Oronte! Qui vous dit que la lettre est pour lui?

ALCESTE
1340 Les gens qui, dans mes mains, l'ont remise, aujourd'hui.
Mais je veux consentir qu'elle soit pour un autre,
Mon cœur en a-t-il moins à se plaindre du vôtre?
En serez-vous, vers moi, moins coupable en effet?

CÉLIMÈNE
Mais, si c'est une femme à qui va ce billet,
1345 En quoi vous blesse-t-il? et qu'a-t-il de coupable?

ALCESTE
Ah! le détour est bon, et l'excuse admirable,
Je ne m'attendais pas, je l'avoue, à ce trait:
Et me voilà, par là, convaincu tout à fait.
Osez-vous recourir à ces ruses grossières:
1350 Et croyez-vous les gens si privés de lumières?
Voyons, voyons, un peu, par quel biais, de quel air,
Vous voulez soutenir un mensonge si clair:
Et comment vous pourrez tourner, pour une femme,
Tous les mots d'un billet qui montre tant de flamme?
1355 Ajustez, pour couvrir un manquement de foi,
Ce que je m'en vais lire...

CÉLIMÈNE
Il ne me plaît pas, moi.
Je vous trouve plaisant, d'user d'un tel empire,
Et de me dire, au nez, ce que vous m'osez dire.

ALCESTE
Non, non, sans s'emporter, prenez, un peu, souci
1360 De me justifier les termes que voici.

CÉLIMÈNE
Non, je n'en veux rien faire; et, dans cette occurrence,
Tout ce que vous croirez, m'est de peu d'importance.

ALCESTE
De grâce, montrez-moi, je serai satisfait,
Qu'on peut, pour une femme, expliquer ce billet.

CÉLIMÈNE
1365 Non, il est pour Oronte, et je veux qu'on le croie*,
Je reçois tous ses soins, avec beaucoup de joie,
J'admire ce qu'il dit, j'estime ce qu'il est;
Et je tombe d'accord de tout ce qu'il vous plaît.
Faites, prenez parti, que rien ne vous arrête,
1370 Et ne me rompez pas, davantage, la tête.

ALCESTE
Ciel! rien de plus cruel peut-il être inventé:
Et, jamais, cœur fut-il de la sorte traité*?
Quoi! d'un juste courroux je suis ému contre elle,
C'est moi qui me viens plaindre, et c'est moi qu'on querelle!
1375 On pousse ma douleur, et mes soupçons à bout,
On me laisse tout croire, on fait gloire de tout;
Et, cependant, mon cœur est, encore, assez lâche,
Pour ne pouvoir briser la chaîne qui l'attache,
Et pour ne pas s'armer d'un généreux mépris
1380 Contre l'ingrat objet dont il est trop épris!
Ah! que vous savez bien, ici, contre moi-même,
Perfide, vous servir de ma faiblesse extrême,
Et ménager, pour vous, l'excès prodigieux
De ce fatal amour, né de vos traîtres yeux*!
1385 Défendez-vous, au moins, d'un crime qui m'accable,
Et cessez d'affecter d'être, envers moi, coupable;
Rendez-moi, s'il se peut, ce billet innocent,
À vous prêter les mains, ma tendresse consent;
Efforcez-vous, ici, de paraître fidèle,
1390 Et je m'efforcerai, moi, de vous croire telle.

CÉLIMÈNE
Allez, vous êtes fou, dans vos transports jaloux,
Et ne méritez pas l'amour qu'on a pour vous.
Je voudrais bien savoir, qui* pourrait me contraindre
À descendre, pour vous, aux bassesses de feindre:
1395 Et pourquoi, si mon cœur penchait d'autre côté,
Je ne le dirais pas avec sincérité?
Quoi! de mes sentiments l'obligeante assurance,
Contre tous vos soupçons, ne prend pas ma défense?
Auprès d'un tel garant, sont-ils de quelque poids?
1400 N'est-ce pas m'outrager, que d'écouter leur voix?
Et puisque notre cœur fait un effort extrême*,
Lorsqu'il peut se résoudre à confesser qu'il aime,
Puisque l'honneur du sexe, ennemi de nos feux,
S'oppose, fortement, à de pareils aveux;
1405 L'amant, qui voit, pour lui, franchir un tel obstacle,
Doit-il, impunément, douter de cet oracle:
Et n'est-il pas coupable, en ne s'assurant pas,
À ce qu'on ne dit point, qu'après de grands combats*?
Allez, de tels soupçons méritent ma colère,
1410 Et vous ne valez pas que l'on vous considère:
Je suis sotte, et veux mal à ma simplicité,
De conserver, encor, pour vous, quelque bonté;
Je devrais, autre part, attacher mon estime,
Et vous faire un sujet de plainte légitime.

ALCESTE
1415 Ah! traîtresse, mon faible est étrange pour vous!
Vous me trompez, sans doute*, avec des mots si doux:
Mais, il n'importe, il faut suivre ma destinée,
À votre foi, mon âme est toute abandonnée,
Je veux voir, jusqu'au bout, quel sera votre cœur:
1420 Et si, de me trahir, il aura la noirceur.

CÉLIMÈNE
Non, vous ne m'aimez point, comme il faut que l'on aime*.

ALCESTE
Ah! rien n'est comparable à mon amour extrême;
Et, dans l'ardeur qu'il a de se montrer à tous,
Il va jusqu'à former des souhaits contre vous.
1425 Oui, je voudrais qu'aucun ne vous trouvât aimable,
Que vous fussiez réduite en un sort misérable,
Que le Ciel, en naissant, ne vous eût donné rien,
Que vous n'eussiez ni rang, ni naissance, ni bien,
Afin que, de mon cœur, l'éclatant sacrifice,
1430 Vous pût, d'un pareil sort, réparer l'injustice:
Et que j'eusse la joie, et la gloire, en ce jour,
De vous voir tenir tout, des mains de mon amour.

CÉLIMÈNE
C'est me vouloir du bien, d'une étrange manière!
Me préserve le Ciel, que vous ayez matière...
1435 Voici Monsieur Du Bois, plaisamment, figuré.