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Actes de l'oeuvre
George Dandin ou le mari confondu :

¤Acte 1
¤Acte 2
¤Acte 3
ºSCÈNE PREMIÈRE
ºSCÈNE II
ºSCÈNE III
ºSCÈNE IV
ºSCÈNE V
ºSCÈNE VI
ºSCÈNE VII
ºSCÈNE VIII
 
 

 

George Dandin ou le mari confondu » Acte 3 » SCÈNE VI

ANGÉLIQUE, CLAUDINE, GEORGE DANDIN.

ANGÉLIQUE.- Rentrons sans faire de bruit.

CLAUDINE.- La porte s'est fermée.

ANGÉLIQUE.- J'ai le passe-partout.

CLAUDINE.- Ouvrez donc doucement.

ANGÉLIQUE.- On a fermé en dedans, et je ne sais comment nous ferons.

CLAUDINE.- Appelez le garçon qui couche là.

ANGÉLIQUE.- Colin, Colin, Colin.

GEORGE DANDIN, mettant la tête à sa fenêtre.- Colin, Colin? Ah je vous y prends donc, Madame ma femme, et vous faites des escampativos* pendant que je dors. Je suis bien aise de cela, et de vous voir dehors à l'heure qu'il est.

ANGÉLIQUE.- Hé bien, quel grand mal est-ce qu'il y a à prendre le frais de la nuit?

GEORGE DANDIN.- Oui, oui. L'heure est bonne à prendre le frais. C'est bien plutôt le chaud, Madame la coquine; et nous savons toute l'intrigue du rendez-vous, et du damoiseau. Nous avons entendu votre galant entretien, et les beaux vers à ma louange que vous avez dits l'un et l'autre. Mais ma consolation c'est que je vais être vengé, et que votre père et votre mère seront convaincus maintenant de la justice de mes plaintes, et du déréglement de votre conduite. Je les ai envoyé querir, et ils vont être ici dans un moment.

ANGÉLIQUE.- Ah Ciel!

CLAUDINE.- Madame.

GEORGE DANDIN.- Voilà un coup sans doute où vous ne vous attendiez pas. C'est maintenant que je triomphe, et j'ai de quoi mettre à bas votre orgueil, et détruire vos artifices. Jusques ici vous avez joué* mes accusations, ébloui vos parents, et plâtré vos malversations*. J'ai eu beau voir, et beau dire, et votre adresse toujours l'a emporté sur mon bon droit, et toujours vous avez trouvé moyen d'avoir raison. Mais à cette fois, Dieu merci, les choses vont être éclaircies, et votre effronterie sera pleinement confondue.

ANGÉLIQUE.- Hé je vous prie, faites-moi ouvrir la porte.

GEORGE DANDIN.- Non, non il faut attendre la venue de ceux que j'ai mandés, et je veux qu'ils vous trouvent dehors à la belle heure qu'il est. En attendant qu'ils viennent, songez, si vous voulez à chercher dans votre tête quelque nouveau détour pour vous tirer de cette affaire. À inventer quelque moyen de rhabiller* votre escapade. À trouver quelque belle ruse pour éluder* ici les gens et paraître innocente. Quelque prétexte spécieux de pèlerinage nocturne, ou d'amie en travail d'enfant que vous veniez de secourir.

ANGÉLIQUE.- Non, mon intention n'est pas de vous rien déguiser. Je ne prétends point me défendre, ni vous nier les choses, puisque vous les savez.

GEORGE DANDIN.- C'est que vous voyez bien que tous les moyens vous en sont fermés, et que dans cette affaire vous ne sauriez inventer d'excuse qu'il ne me soit facile de convaincre de fausseté.

ANGÉLIQUE.- Oui. Je confesse que j'ai tort, et que vous avez sujet de vous plaindre. Mais je vous demande par grâce de ne m'exposer point maintenant à la mauvaise humeur de mes parents, et de me faire promptement ouvrir.

GEORGE DANDIN.- Je vous baise les mains.

ANGÉLIQUE.- Eh mon pauvre petit mari. Je vous en conjure.

GEORGE DANDIN.- Ah mon pauvre petit mari? Je suis votre petit mari maintenant, parce que vous vous sentez prise. Je suis bien aise de cela, et vous ne vous étiez jamais avisée de me dire ces douceurs.

ANGÉLIQUE.- Tenez. Je vous promets de ne vous plus donner aucun sujet de déplaisir, et de me...

GEORGE DANDIN.- Tout cela n'est rien. Je ne veux point perdre cette aventure, et il m'importe qu'on soit une fois éclairci à fond de vos déportements.

ANGÉLIQUE.- De grâce, laissez-moi vous dire. Je vous demande un moment d'audience.

GEORGE DANDIN.- Hé bien quoi?

ANGÉLIQUE.- Il est vrai que j'ai failli, je vous l'avoue encore une fois; et que votre ressentiment* est juste; que j'ai pris le temps de sortir pendant que vous dormiez, et que cette sortie est un rendez-vous que j'avais donné à la personne que vous dites. Mais enfin ce sont des actions que vous devez pardonner à mon âge; des emportements de jeune personne qui n'a encore rien vu, et ne fait que d'entrer au monde*; des libertés où l'on s'abandonne sans y penser de mal, et qui sans doute dans le fond n'ont rien de*

GEORGE DANDIN.- Oui: vous le dites, et ce sont de ces choses qui ont besoin qu'on les croie pieusement.

ANGÉLIQUE.- Je ne veux point m'excuser par là d'être coupable envers vous, et je vous prie seulement d'oublier une offense, dont je vous demande pardon de tout mon cœur; et de m'épargner en cette rencontre le déplaisir que me pourraient causer les reproches fâcheux de mon père et de ma mère. Si vous m'accordez généreusement la grâce que je vous demande; ce procédé obligeant, cette bonté que vous me ferez voir, me gagnera entièrement. Elle touchera tout à fait mon cœur, et y fera naître pour vous ce que tout le pouvoir de mes parents et les liens du mariage n'avaient pu y jeter. En un mot, elle sera cause que je renoncerai à toutes les galanteries, et n'aurai de l'attachement que pour vous. Oui, je vous donne ma parole que vous m'allez voir désormais la meilleure femme du monde, et que je vous témoignerai tant d'amitié, tant d'amitié que vous en serez satisfait.

GEORGE DANDIN.- Ah! crocodile* qui flatte les gens pour les étrangler.

ANGÉLIQUE.- Accordez-moi cette faveur.

GEORGE DANDIN.- Point d'affaires. Je suis inexorable.

ANGÉLIQUE.- Montrez-vous généreux.

GEORGE DANDIN.- Non.

ANGÉLIQUE.- De grâce.

GEORGE DANDIN.- Point.

ANGÉLIQUE.- Je vous en conjure de tout mon cœur.

GEORGE DANDIN.- Non, non, non. Je veux qu'on soit détrompé de vous, et que votre confusion éclate.

ANGÉLIQUE.- Hé bien si vous me réduisez au désespoir, je vous avertis qu'une femme en cet état est capable de tout, et que je ferai quelque chose ici dont vous vous repentirez.

GEORGE DANDIN.- Et que ferez-vous, s'il vous plaît?

ANGÉLIQUE.- Mon cœur se portera jusqu'aux extrêmes résolutions, et de ce couteau que voici je me tuerai sur la place.

GEORGE DANDIN.- Ah! ah! à la bonne heure.

ANGÉLIQUE.- Pas tant à la bonne heure pour vous, que vous vous imaginez. On sait de tous côtés nos différends, et les chagrins perpétuels que vous concevez contre moi. Lorsqu'on me trouvera morte, il n'y aura personne qui mette en doute que ce ne soit vous qui m'aurez tuée; et mes parents ne sont pas gens assurément à laisser cette mort impunie, et ils en feront sur votre personne toute la punition que leur pourront offrir, et les poursuites de la justice, et la chaleur de leur ressentiment. C'est par là que je trouverai moyen de me venger de vous, et je ne suis pas la première qui ait su recourir à de pareilles vengeances, qui n'ait pas fait difficulté de se donner la mort, pour perdre ceux qui ont la cruauté de nous pousser à la dernière extrémité.

GEORGE DANDIN.- Je suis votre valet. On ne s'avise plus de se tuer soi-même, et la mode en est passée il y a longtemps.

ANGÉLIQUE.- C'est une chose dont vous pouvez vous tenir sûr, et si vous persistez dans votre refus, si vous ne me faites ouvrir, je vous jure que tout à l'heure je vais vous faire voir jusques où peut aller la résolution d'une personne qu'on met au désespoir.

GEORGE DANDIN.- Bagatelles, bagatelles. C'est pour me faire peur.

ANGÉLIQUE.- Hé bien puisqu'il le faut, voici qui nous contentera tous deux, et montrera si je me moque. Ah c'en est fait. Fasse le Ciel que ma mort soit vengée comme je le souhaite, et que celui qui en est cause, reçoive un juste châtiment de la dureté qu'il a eue pour moi.

GEORGE DANDIN.- Ouais! serait-elle bien si malicieuse que de s'être tuée pour me faire pendre? Prenons un bout de chandelle pour aller voir.

ANGÉLIQUE.- St. Paix. Rangeons-nous chacune immédiatement contre un des côtés de la porte.

GEORGE DANDIN.- La méchanceté d'une femme irait-elle bien jusque-là? (Il sort avec un bout de chandelle sans les apercevoir, elles entrent, aussitôt elles ferment la porte.) Il n'y a personne. Eh je m'en étais bien douté, et la pendarde s'est retirée, voyant qu'elle ne gagnait rien après moi, ni par prières ni par menaces. Tant mieux, cela rendra ses affaires encore plus mauvaises, et le père et la mère qui vont venir en verront mieux son crime. Ah ah la porte s'est fermée. Holà ho quelqu'un! Qu'on m'ouvre promptement.

ANGÉLIQUE, à la fenêtre avec Claudine.- Comment c'est toi! D'où viens-tu, bon pendard? Est-il l'heure de revenir chez soi, quand le jour est près de paraître, et cette manière de vie est-elle celle que doit suivre un honnête mari?

CLAUDINE.- Cela est-il beau d'aller ivrogner toute la nuit? et de laisser ainsi toute seule une pauvre jeune femme dans la maison?

GEORGE DANDIN.- Comment vous avez...

ANGÉLIQUE.- Va, va, traître, je suis lasse de tes déportements, et je m'en veux plaindre sans plus tarder à mon père et à ma mère.

GEORGE DANDIN.- Quoi c'est ainsi que vous osez...