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Actes de l'oeuvre
Le bourgeois gentilhomme :

¤Acte 1
¤Acte 2
¤Acte 3
¤Acte 4
ºSCÈNE PREMIÈRE
ºSCÈNE II
ºSCÈNE III
ºSCÈNE IV
ºSCÈNE V
¤Acte 5
 
 

 

Le bourgeois gentilhomme » Acte 4 » SCÈNE III

COVIELLE, déguisé en voyageur, MONSIEUR JOURDAIN, LAQUAIS.

COVIELLE.- Monsieur, je ne sais pas si j'ai l'honneur d'être connu de vous.

MONSIEUR JOURDAIN.- Non, Monsieur.

COVIELLE.- Je vous ai vu que vous n'étiez pas plus grand que cela.

MONSIEUR JOURDAIN.- Moi!

COVIELLE.- Oui, vous étiez le plus bel enfant du monde, et toutes les dames vous prenaient dans leurs bras pour vous baiser.

MONSIEUR JOURDAIN.- Pour me baiser!

COVIELLE.- Oui. J'étais grand ami de feu Monsieur votre père.

MONSIEUR JOURDAIN.- De feu Monsieur mon père!

COVIELLE.- Oui. C'était un fort honnête gentilhomme.

MONSIEUR JOURDAIN.- Comment dites-vous?

COVIELLE.- Je dis que c'était un fort honnête gentilhomme.

MONSIEUR JOURDAIN.- Mon père!

COVIELLE.- Oui.

MONSIEUR JOURDAIN.- Vous l'avez fort connu?

COVIELLE.- Assurément.

MONSIEUR JOURDAIN.- Et vous l'avez connu pour gentilhomme?

COVIELLE.- Sans doute.

MONSIEUR JOURDAIN.- Je ne sais donc pas comment le monde est fait.

COVIELLE.- Comment?

MONSIEUR JOURDAIN.- Il y a de sottes gens qui me veulent dire qu'il a été marchand.

COVIELLE.- Lui marchand! C'est pure médisance, il ne l'a jamais été. Tout ce qu'il faisait, c'est qu'il était fort obligeant, fort officieux; et comme il se connaissait fort bien en étoffes, il en allait choisir de tous les côtés, les faisait apporter chez lui, et en donnait à ses amis pour de l'argent.

MONSIEUR JOURDAIN.- Je suis ravi de vous connaître, afin que vous rendiez ce témoignage-là que mon père était gentilhomme.

COVIELLE.- Je le soutiendrai devant tout le monde.

MONSIEUR JOURDAIN.- Vous m'obligerez. Quel sujet vous amène?

COVIELLE.- Depuis avoir connu feu Monsieur votre père honnête gentilhomme, comme je vous ai dit, j'ai voyagé par tout le monde.

MONSIEUR JOURDAIN.- Par tout le monde!

COVIELLE.- Oui.

MONSIEUR JOURDAIN.- Je pense qu'il y a bien loin en ce pays-là.

COVIELLE.- Assurément. Je ne suis revenu de tous mes longs voyages que depuis quatre jours; et par l'intérêt que je prends à tout ce qui vous touche, je viens vous annoncer la meilleure nouvelle du monde.

MONSIEUR JOURDAIN.- Quelle?

COVIELLE.- Vous savez que le fils du Grand Turc est ici?

MONSIEUR JOURDAIN.- Moi? Non.

COVIELLE.- Comment! Il a un train tout à fait magnifique; tout le monde le va voir, et il a été reçu en ce pays comme un seigneur d'importance.

MONSIEUR JOURDAIN.- Par ma foi, je ne savais pas cela.

COVIELLE.- Ce qu'il y a d'avantageux pour vous, c'est qu'il est amoureux de votre fille.

MONSIEUR JOURDAIN.- Le fils du Grand Turc?

COVIELLE.- Oui; et il veut être votre gendre.

MONSIEUR JOURDAIN.- Mon gendre, le fils du Grand Turc!

COVIELLE.- Le fils du Grand Turc votre gendre. Comme je le fus voir, et que j'entends parfaitement sa langue, il s'entretint avec moi; et après quelques autres discours, il me dit. Acciam croc soler ouch alla moustaph gidelum amanahem varahini oussere carbulath, c'est-à-dire; "N'as-tu point vu une jeune belle personne, qui est la fille de Monsieur Jourdain, gentilhomme parisien*?"

MONSIEUR JOURDAIN.- Le fils du Grand Turc dit cela de moi?

COVIELLE.- Oui. Comme je lui eus répondu que je vous connaissais particulièrement, et que j'avais vu votre fille: "Ah, me dit-il, marababa sahem"; c'est-à-dire, "Ah que je suis amoureux d'elle!"

MONSIEUR JOURDAIN.- Marababa sahem veut dire "Ah que je suis amoureux d'elle"?

COVIELLE.- Oui.

MONSIEUR JOURDAIN.- Par ma foi, vous faites bien de me le dire, car pour moi je n'aurais jamais cru que marababa sahem eût voulu dire, "Ah que je suis amoureux d'elle!" Voilà une langue admirable, que ce turc!

COVIELLE.- Plus admirable qu'on ne peut croire. Savez-vous bien ce que veut dire cacaracamouchen?

MONSIEUR JOURDAIN.- Cacaracamouchen? Non.

COVIELLE.- C'est-à-dire, "Ma chère âme."

MONSIEUR JOURDAIN.- Cacaracamouchen veut dire, "ma chère âme"?

COVIELLE.- Oui.

MONSIEUR JOURDAIN.- Voilà qui est merveilleux! Cacaracamouchen, "Ma chère âme." Dirait-on jamais cela? Voilà qui me confond.

COVIELLE.- Enfin, pour achever mon ambassade, il vient vous demander votre fille en mariage; et pour avoir un beau-père qui soit digne de lui, il veut vous faire mamamouchi, qui est une certaine grande dignité de son pays.

MONSIEUR JOURDAIN.- Mamamouchi?

COVIELLE.- Oui, Mamamouchi: c'est-à-dire en notre langue, paladin*. Paladin, ce sont de ces anciens... Paladin enfin. Il n'y a rien de plus noble que cela dans le monde; et vous irez de pair avec les plus grands seigneurs de la terre.

MONSIEUR JOURDAIN.- Le fils du Grand Turc m'honore beaucoup, et je vous prie de me mener chez lui, pour lui en faire* mes remerciements.

COVIELLE.- Comment? le voilà qui va venir ici.

MONSIEUR JOURDAIN.- Il va venir ici?

COVIELLE.- Oui; et il amène toutes choses pour la cérémonie de votre dignité.

MONSIEUR JOURDAIN.- Voilà qui est bien prompt.

COVIELLE.- Son amour ne peut souffrir aucun retardement.

MONSIEUR JOURDAIN.- Tout ce qui m'embarrasse ici, c'est que ma fille est une opiniâtre, qui s'est allée mettre dans la tête un certain Cléonte, et elle jure de n'épouser personne que celui-là.

COVIELLE.- Elle changera de sentiment, quand elle verra le fils du Grand Turc; et puis il se rencontre ici une aventure merveilleuse, c'est que le fils du Grand Turc ressemble à ce Cléonte, à peu de chose près. Je viens de le voir, on me l'a montré; et l'amour qu'elle a pour l'un, pourra passer aisément à l'autre, et... Je l'entends venir; le voilà.