George Dandin ou le mari confondu » Acte 2 » SCÈNE PREMIÈRE
CLAUDINE, LUBIN.CLAUDINE.- Oui, j'ai bien deviné qu'il fallait que cela vînt de toi, et que tu l'eusses dit à quelqu'un qui l'ait rapporté à notre maître.LUBIN.- Par ma foi je n'en ai touché qu'un petit mot en passant à un homme, afin qu'il ne dît point qu'il m'avait vu sortir, et il faut que les gens en ce pays-ci soient de grands babillards.CLAUDINE.- Vraiment ce Monsieur le Vicomte a bien choisi son monde que de te prendre pour son ambassadeur, et il s'est allé servir là d'un homme bien chanceux.LUBIN.- Va, une autre fois je serai plus fin, et je prendrai mieux garde à moi.CLAUDINE.- Oui, oui, il sera temps.LUBIN.- Ne parlons plus de cela, écoute.CLAUDINE.- Que veux-tu que j'écoute?LUBIN.- Tourne un peu ton visage devers moi.CLAUDINE.- Hé bien qu'est-ce?LUBIN.- Claudine.CLAUDINE.- Quoi?LUBIN.- Hé là, ne sais-tu pas bien ce que je veux dire?CLAUDINE.- Non.LUBIN.- Morgué je t'aime.CLAUDINE.- Tout de bon?LUBIN.- Oui le diable m'emporte, tu me peux croire, puisque j'en jure.CLAUDINE.- À la bonne heure.LUBIN.- Je me sens tout tribouiller* le cœur quand je te regarde.CLAUDINE.- Je m'en réjouis.LUBIN.- Comment est-ce que tu fais pour être si jolie?CLAUDINE.- Je fais comme font les autres.LUBIN.- Vois-tu, il ne faut point tant de beurre pour faire un quarteron*. Si tu veux tu seras ma femme, je serai ton mari, et nous serons tous deux mari et femme.CLAUDINE.- Tu serais peut-être jaloux comme notre maître.LUBIN.- Point.CLAUDINE.- Pour moi, je hais les maris soupçonneux, et j'en veux un qui ne s'épouvante de rien, un si plein de confiance, et si sûr de ma chasteté, qu'il me vît sans inquiétude au milieu de trente hommes.LUBIN.- Hé bien, je serai tout comme cela.CLAUDINE.- C'est la plus sotte chose du monde que de se défier d'une femme, et de la tourmenter. La vérité de l'affaire est qu'on n'y gagne rien de bon. Cela nous fait songer à mal, et ce sont souvent les maris qui avec leurs vacarmes se font eux-mêmes ce qu'ils sont.LUBIN.- Hé bien, je te donnerai la liberté de faire tout ce qu'il te plaira.CLAUDINE.- Voilà comme il faut faire pour n'être point trompé. Lorsqu'un mari se met à notre discrétion, nous ne prenons de liberté que ce qu'il nous en faut, et il en est comme avec ceux qui nous ouvrent leur bourse et nous disent, prenez. Nous en usons honnêtement, et nous nous contentons de la raison*. Mais ceux qui nous chicanent, nous nous efforçons de les tondre, et nous ne les épargnons point.LUBIN.- Va, je serai de ceux qui ouvrent leur bourse, et tu n'as qu'à te marier avec moi.CLAUDINE.- Hé bien bien nous verrons.LUBIN.- Viens donc ici, Claudine.CLAUDINE.- Que veux-tu?LUBIN.- Viens, te dis-je.CLAUDINE.- Ah! doucement. Je n'aime pas les patineurs*.LUBIN.- Eh un petit brin d'amitié.CLAUDINE.- Laisse-moi là, te dis-je, je n'entends pas raillerie.LUBIN.- Claudine.CLAUDINE.- Ahy!LUBIN.- Ah! que tu es rude à pauvres gens. Fi, que cela est malhonnête de refuser les personnes. N'as-tu point de honte d'être belle, et de ne vouloir pas qu'on te caresse? Eh là.CLAUDINE.- Je te donnerai sur le nez.LUBIN.- Oh la farouche. La sauvage. Fi poua la vilaine, qui est cruelle.CLAUDINE.- Tu t'émancipes trop.LUBIN.- Qu'est-ce que cela te coûterait de me laisser un peu faire*?CLAUDINE.- Il faut que tu te donnes patience.LUBIN.- Un petit baiser seulement en rabattant sur notre mariage*.CLAUDINE.- Je suis votre servante.LUBIN.- Claudine, je t'en prie, sur l'et-tant-moins*.CLAUDINE.- Eh que nenni. J'y ai déjà été attrapée. Adieu. Va-t'en, et dis à Monsieur le Vicomte que j'aurai soin de rendre son billet.LUBIN.- Adieu beauté rude ânière*.CLAUDINE.- Le mot est amoureux.LUBIN.- Adieu rocher, caillou, pierre de taille, et tout ce qu'il y a de plus dur au monde.CLAUDINE.- Je vais remettre aux mains de ma maîtresse... Mais la voici avec son mari, éloignons-nous, et attendons qu'elle soit seule.
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