Les Femmes savantes » Acte 4 » SCÈNE III
PHILAMINTE, BÉLISE, ARMANDE, TRISSOTIN, LE NOTAIRE, CHRYSALE, CLITANDRE, HENRIETTE, MARTINE. PHILAMINTE Vous ne sauriez changer votre style sauvage,Et nous faire un contrat qui soit en beau langage? LE NOTAIRE Notre style est très bon, et je serais un sot,Madame, de vouloir y changer un seul mot. BÉLISE 1605 Ah! quelle barbarie au milieu de la France!Mais au moins en faveur, Monsieur, de la science,Veuillez au lieu d'écus, de livres et de francs,Nous exprimer la dot en mines et talents,Et dater par les mots d'ides et de calendes. LE NOTAIRE 1610 Moi? Si j'allais, Madame, accorder vos demandes,Je me ferais siffler de tous mes compagnons. PHILAMINTE De cette barbarie en vain nous nous plaignons.Allons, Monsieur, prenez la table pour écrire.Ah, ah! cette impudente ose encor se produire? 1615 Pourquoi donc, s'il vous plaît, la ramener chez moi? CHRYSALE Tantôt avec loisir on vous dira pourquoi.Nous avons maintenant autre chose à conclure. LE NOTAIRE Procédons au contrat. Où donc est la future? PHILAMINTE Celle que je marie est la cadette. LE NOTAIRE Bon. CHRYSALE 1620 Oui. La voilà, Monsieur, Henriette est son nom. LE NOTAIRE Fort bien. Et le futur? PHILAMINTE* L'époux que je lui donne Est Monsieur. CHRYSALE, montrant Clitandre. Et celui, moi, qu'en propre personne, Je prétends qu'elle épouse, est Monsieur. LE NOTAIRE Deux époux! C'est trop pour la coutume. PHILAMINTE Où vous arrêtez-vous? 1625 Mettez, mettez, Monsieur, Trissotin pour mon gendre. CHRYSALE Pour mon gendre mettez, mettez, Monsieur, Clitandre. LE NOTAIRE Mettez-vous donc d'accord et d'un jugement mûrVoyez à convenir entre vous du futur*. PHILAMINTE Suivez, suivez, Monsieur, le choix où je m'arrête. CHRYSALE 1630 Faites, faites, Monsieur, les choses à ma tête. LE NOTAIRE Dites-moi donc à qui j'obéirai des deux? PHILAMINTE Quoi donc, vous combattez les choses que je veux? CHRYSALE Je ne saurais souffrir qu'on ne cherche ma fille,Que pour l'amour du bien qu'on voit dans ma famille. PHILAMINTE 1635 Vraiment à votre bien on songe bien ici,Et c'est là pour un sage, un fort digne souci! CHRYSALE Enfin pour son époux, j'ai fait choix de Clitandre. PHILAMINTE Et moi, pour son époux, voici qui je veux prendre:Mon choix sera suivi, c'est un point résolu. CHRYSALE 1640 Ouais. Vous le prenez là d'un ton bien absolu? MARTINE Ce n'est point à la femme à prescrire, et je sommesPour céder le dessus en toute chose aux hommes. CHRYSALE C'est bien dit. MARTINE Mon congé cent fois me fût-il hoc*, La poule ne doit point chanter devant le coq. CHRYSALE Sans doute. MARTINE 1645 Et nous voyons que d'un homme on se gausse, Quand sa femme chez lui porte le haut-de-chausse. CHRYSALE Il est vrai. MARTINE Si j'avais un mari, je le dis, Je voudrais qu'il se fît le maître du logis.Je ne l'aimerais point, s'il faisait le jocrisse*. 1650 Et si je contestais contre lui par caprice;Si je parlais trop haut, je trouverais fort bon,Qu'avec quelques soufflets il rabaissât mon ton. CHRYSALE C'est parler comme il faut. MARTINE Monsieur est raisonnable, De vouloir pour sa fille un mari convenable. CHRYSALE Oui. MARTINE 1655 Par quelle raison, jeune, et bien fait qu'il est, Lui refuser Clitandre? Et pourquoi, s'il vous plaît,Lui bailler un savant, qui sans cesse épilogue*?Il lui faut un mari, non pas un pédagogue:Et ne voulant savoir le grais*, ni le latin, 1660 Elle n'a pas besoin de Monsieur Trissotin. CHRYSALE Fort bien. PHILAMINTE Il faut souffrir qu'elle jase à son aise. MARTINE Les savants ne sont bons que pour prêcher en chaise*;Et pour mon mari, moi, mille fois je l'ai dit,Je ne voudrais jamais prendre un homme d'esprit. 1665 L'esprit n'est point du tout ce qu'il faut en ménage;Les livres cadrent mal avec le mariage;Et je veux, si jamais on engage ma foi,Un mari qui n'ait point d'autre livre que moi;Qui ne sache A, ne B, n'en déplaise à Madame, 1670 Et ne soit en un mot docteur que pour sa femme. PHILAMINTE Est-ce fait? et sans trouble ai-je assez écoutéVotre digne interprète? CHRYSALE Elle a dit vérité. PHILAMINTE Et moi, pour trancher court toute cette dispute,Il faut qu'absolument mon désir s'exécute. 1675 Henriette, et Monsieur seront joints de ce pas;Je l'ai dit, je le veux, ne me répliquez pas:Et si votre parole à Clitandre est donnée,Offrez-lui le parti d'épouser son aînée. CHRYSALE Voilà dans cette affaire un accommodement. 1680 Voyez? y donnez-vous votre consentement? HENRIETTE Eh mon père! CLITANDRE Eh Monsieur! BÉLISE On pourrait bien lui faire Des propositions qui pourraient mieux lui plaire:Mais nous établissons une espèce d'amourQui doit être épuré comme l'astre du jour; 1685 La substance qui pense, y peut être reçue,Mais nous en bannissons la substance étendue.
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